Grève de 1963

Pas d' sous, pas d' carbon !

les femmes dans la lutte !

Mars 1963, 29ème jour de grève.

Depuis que le Général de Gaulle a tenté de réquisitionner les mineurs pour les obliger à travailler, l'unité et la solidarité ne faiblissent pas. Partout en France les gens nous soutiennent. Nous étions les premiers à bénéficier de la sécurité sociale, nous sommes aujourd'hui les derniers dans l'échelle des salaires. Nous exigeons une augmentation de notre paye. Les organisations syndicales sont au diapason et c'est ensemble que les mineurs de la CGT, de FO et de la CFTC défilent avec leurs banderoles : « pas d' sous, pas de charbon », « des sous Charlot »,  « Les mineurs dans la lutte pour leurs revendications ». Les femmes de mineurs sont avec leur mari, elles aussi défilent et s’affichent.

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photo Le Lensois Normand

Je suis une femme de mineur comme les autres, Émilienne, l’épouse d'Achille, la maman de deux enfants. Nous habitons le coron des pendus à Liévin. Avec d’autres femmes, nous voulons agir, ne pas attendre à la maison. Une grève de vingt neuf jours, c’est long !

Il est 5 heures du matin, il fait froid. J'arrive, un panier sous le bras, pour prendre la relève de mon mari à l’entrée du carreau de la fosse. Les hommes trouvent que les femmes sont plus convaincantes pour tenir le piquet de grève et empêcher les mineurs d'aller travailler.

Ensuite, j'irai avec Lucette, ma cousine, préparer des colis de linge et d'alimentation. Odette, ma voisine, se chargera de les distribuer. Ce sont nos moyens de résister et nos victoires, à nous les femmes. Dans certaines maisons, il n’y a plus d’argent, plus rien à manger.

Depuis deux semaines, mes enfants ont été envoyés dans la famille. Yves, l’aîné, 10 ans est en Belgique, ma petite Claudine, 6 ans est à Boulogne-sur-Mer. Les enfants d’Odette sont pris en charge par le Secours populaire ; ils sont accueillis par une famille de Livry-Gargan, dans la région parisienne. Julien et Alain, les jumeaux de Lucette, plus grands, sont restés à Liévin. Elle a mis à profit ses talents de couturière pour leur confectionner des costumes de mineurs. Ils portent un béguin, un petit pantalon de toile et une veste ceinturée à la taille. Elle a ajouté une petite lampe. Les voilà prêts pour le défilé.

1963-Fosse 4/5 Sud Méricourt

A la radio d’État, je n'en peux plus d’entendre les mineurs être traités de nantis et de privilégiés.

A la sortie de la guerre, on a confié aux mineurs la tâche de redresser le pays en leur demandant de produire autant de charbon qu’en exigeait la reconstruction du pays. Quinze ans plus tard, les mineurs se sentent déconsidérés. Et on s'attaque au droit de grève ! Les salariés de France l'ont bien compris ! C'est pour cette raison que tous se mobilisent à travers le pays ! On veut bien s'user la santé mais librement et pas pour rien : « pas d' sous, pas d' carbon ». C’est de tout ça que l’on parle partout, tout le temps ! Une grève n'est jamais gagnée d'avance. Il faut maintenir la pression.

Aujourd’hui, c’est jour de défilé. On annonce 100 000 personnes ! Jamais je n'ai vu autant de travailleurs en toile bleue: jeunes et moins jeunes, père et fils, mari et femme sont là pour dire « ça suffit ! On ne reprendra pas le boulot, on ne risquera plus notre vie sans un salaire décent ! ». Nous arrivons à la place du Cantin à Lens. Les commerçants, les curés sont avec nous, solidaires. Les agents de maîtrise ont répondu présents.

Si le gouvernement laisse pourrir la situation et compte sur la lassitude, il aura face à lui des citoyens déterminés. Nous n’avons pas l'intention d’abandonner ! Il est trop tard. On aurait souffert tout l'hiver, on se serait privés durement pour abandonner la lutte ? Pas question ! On ne peut plus reculer. C'est Paris qui doit capituler, pas nous !

Les esprits s'échauffent. Je sais que c'est pour une bonne cause. Il en va de la dignité humaine. Constant, le mari de Lucette, milite pour l’amélioration des conditions de travail. On ne peut plus laisser les camarades travailler dans des conditions d'humidité, de poussière, de bruit sans réagir. Albert, le délégué, évoque l'avenir du bassin : la récession des mines, l'épuisement progressif du filon sont annoncés, mais pour nous, il est venu le temps de s'indigner !

La grève durera 36 jours. Les mineurs obtiendront une augmentation de 11% de leur salaire et une quatrième semaine de congés payés . Elle sera ensuite étendue progressivement dans tout le pays. .
En 1963, il y avait 80 000 mineurs dans le Nord Pas de Calais.

En 1989, zéro !

Laurence Vincent, fille de Mineur

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Date de création : 04/08/2016 12:26
Catégorie : Livres, récits, témoignages... - Récits-Enfants de mineurs
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Réactions à cet article

Réaction n°4 

par Ciapa_Rusa le 26/11/2022 14:20

À l'époque, j'avais près de 10 ans ... Je vois et j'entends encore ces femmes de mineurs ("Des Sous Charlot!") dans les rues de Sin-Le-Noble !!! Inoubliable !!!


Réaction n°3 

par Marcellaw le 17/11/2021 17:09

Bonjour 

En 1963 lors des grèves mes parents ont hébergé Angelo fils de mineur.

Angelo doit avoir 70 ans  (mon âge) par contre je ne me souviens pas de son nom de famille ni de la ville d'ou il venait

Il a donc passé quelques jour à Champagnole 39300 chez Mr et Mme Lawansch Roger.

En tant que ancien mineur de fond à Freymin Merlebach mon papa a voulu participer à l'élan de solidarité national.

Si Angelo pouvait lire ce message ...la chance peut être.... 


Réaction n°2 

par Remi_Benichou le 11/06/2018 19:02

merci pour votre témoignage

je suis réalisateur de films documentaires et je prépare actuellement un documentaire pour France 5 à propos de la solidarité exceptionnelle dont la grève de 1963 a bénéficié.

Je suis donc à la recherche de témoignages très concrets de mineurs ou d'enfants de mineurs ainsi que de toute personne ayant participé ou organisé des actions de solidarité en faveur de la grève.

Mon film va tout particulièrement raconter la manière dont 23 000 enfants de mineurs ont pu partir en vacances dans des familles d'accueil. Je cherche donc à rencontrer:

- des enfants de mineurs qui ont connu cette épisode

- si possible le père ou la mère de cet enfant

- des témoins de la famille d'accueil (enfants ou et parents)

- des employés municipaux, responsables du secours populaire, du secours catholique ou de tout autre association qui a organisé concrètement une partie de ces déplacements et placements d'enfants parfois loin de la région d'origine.

merci pour votre aide

Rémi Bénichou (réalisateur)

remi.benichou@gmail.com

06 28 61 51 19


Réaction n°1 

par bahia1218 le 15/01/2017 12:07
Je suis fille de mineur d'origine polonaise.
Mon père a travaillé 37 ans en tant que mineur de fond à Bruay.
Je me souviens encore très bien de cette grève et de la SOLIDARITE NATIONALE qui l'a accompagnée. De nombreux enfants de mineurs ont été accueillis dans des familles -- dans la France entière et à l'étranger --pendant les vacances de Paques afin d'aider les familles de mineurs.
Je suis moi-meme allée en Anjou dans une famille à Trélazé. Je ne l'ai jamais oubliée.  l