Le dispensaire
Le dispensaire ou «la chambre»
De mon enfance, j’ai le souvenir de quelques maladies : rougeole, oreillons, coqueluche… qui clouaient les enfants au lit et qui causaient bien des hospitalisations et des décès.
Les maux de ventre, la toux : ma mère les soignait en préparant des tisanes, des cataplasmes de farine de lin, des sirops- maisons.
Pour ces derniers, elle creusait l’intérieur d’une carotte ou d’un radis noir, les remplissait de sucre candi, plaçait le légume dans un verre étroit et posait le tout sur le dessus de la cheminée de la cuisinière à charbon. Le sirop s’égouttait goutte a goutte au fond du verre.
Les «bobos» : mon père les lavait à l’eau et au savon.
Il frottait vigoureusement la plaie à l’aide d’un gant de toilette. «Ainsi, jeunes filles, vous aurez de beaux genoux sans cicatrice»
Le médecin
Pour appeler le médecin, il fallait faire de la température : 38 ° minimum au thermomètre rectal à mercure.
Lorsque le thermomètre se cassait par terre, le mercure se dispersait par petits morceaux. On les récupérait à l’aide d’une feuille pour les rendre à la pharmacie.
Pour appeler le médecin, donc, Il fallait déposer un mot dans la boîte aux lettres des « Sœurs »,(congrégation de religieuses) la veille au soir ou tôt le matin, puis guetter son arrivée à la maison.
Son pas se faisait entendre dans la «voyette», suivi d’un coup vigoureux frappé à la porte.
« Voilà le Dr Brunswick », annonce ma mère.
Maman, qui avait laissé le thermomètre bien en vue, explique respectueusement mes symptômes. Sur la table, elle avait préparé une serviette propre, une cuvette remplie d’eau, un savon et une cuillère à soupe pour examiner la gorge.
Avant de le voir arriver en voiture, le médecin faisait sa tournée à pied ou en vélo. Il connaissait tous et chacun dans le quartier, il soignait parfois deux, voire trois générations d’une même famille, mais il restait toujours distant. Il était craint et respecté.
Sa visite est rapide; il ne manque pas de jeter un coup d’œil à la propreté de la maison.
Sur une fiche cartonnée immatriculée S.S.M., comme Société de Secours Minière, le médecin rédige l’ordonnance au nom de mon père. Je sais que je suis un « ayant-droit ».
Puis, maman ira chercher les médicaments à « la caisse de secours », boulevard Basly à Lens.
Beaucoup de voisins, qui ne savent pas écrire, viennent demander à ma mère de leur écrire « le mot ». Tout comme, elle rédige les mots d’excuses pour l’école.
Les consultations et les soins se font essentiellement « à la chambre ». C’est comme ça qu’on appelle le dispensaire de la cité. Il est implanté tout à côté du carreau de la mine. C’est un bâtiment à toiture plate. Dans la grande salle d’attente, sont installés de longs bancs le long des murs. Pendant de longues heures d’attente, on a bien le temps de contempler les couleurs bleues, vertes ou jaune pâles, un peu délavées. Quelques affiches dispensent des conseils à propos de la lutte contre les maladies infectieuses : rougeole, diphtérie, coqueluche, une affiche représente une radio de poumon... Une odeur d’éther flotte dans l’air.
Les patients chuchotent. On parle de maladies, de la mine, des accidents, des voisins...
Dispensaire d'Haveluy en 2018, face à la Fosse du même nom
Le docteur reçoit sur consultation le matin. Les patients arrivent tôt pour prendre leur place. Aussi, à l’entrée dans la salle, chacun annonce s’il vient pour le Docteur ou pour les Soins (c’est-à-dire les soins infirmiers), puis prend place sur un banc. Deux cabines juxtaposées permettent un déroulement rapide de la consultation. Le docteur ouvre les portes l’une après l’autre. Il faut être prêt ! Ses questions sont précises, les gestes sûrs.
Le Docteur consulte jusque 11 heures environ. Même s’il reste encore beaucoup de patients dans la salle d’attente, alors il quitte son cabinet pour faire sa tournée. Et il faut revenir le lendemain.
A côté du dispensaire, des logements abritent le logement des Sœurs de la congrégation des Franciscaines. Elles portent un voile, blanc, amidonné qui vole au vent et une longue robe « bleu-gris ». Je les ai croisées dans les rues de la cité, sur leur bicyclette puis à mobylette, maintenant en voiture 2 CV.
La maison du médecin se situe en face du dispensaire, tout à côté des logements de la directrice de l’école d’à côté, l’école des filles de la cité 9. Le docteur a deux filles de l’âge de mon frère et ma sœur aînée. Elles ne fréquentent pas notre école.
Les sœurs
En cas d’urgence, on peut le consulter à d’autres moments de la journée. Mais c’est à la porte des Sœurs que l’on frappe. La Sœur prendra l’initiative de faire déplacer le médecin ou non. Mon frère Christian, qui s’est tailladé le doigt en sculptant une branche, aura sept points de sutures. C’est la sœur qui surveillera l’évolution de la blessure au cours de ses pansements.
J’admire le travail de ces gestes de petite chirurgie ambulatoire. Christian en garde la trace encore aujourd’hui. La plaie était profonde.
Pour les soins infirmiers à domicile, un mot sur un papier est déposé également chez les sœurs.
Que ce soit les « Sœurs » ou ensuite les infirmières, leurs gestes de cette époque sont magnifiques. Elles font essentiellement des prises de sang, les injections et les pansements. Petite fille, je dévore des yeux leurs gestes. C’est un cérémonial : d’abord poser la lourde mallette en cuir sur la table, puis l’ouvrir. Alors s’étale un alignement de boîtes en métal gris de plusieurs tailles. Délicatement, l’infirmière sort une seringue de verre puis choisit une aiguille dans une autre petite boite extrêmement plate. Au moyen d’une pince, elle place l’aiguille au bout de la seringue. Il lui reste à casser une ampoule de soluté et à remplir sa seringue. Les gestes sont précis. Le flacon est ensuite retourné vers le haut. L’aiguille transperce le bouchon caoutchouté du flacon contenant le médicament. L’infirmière y injecte le soluté.
Après deux à trois allers-retours du piston, le mélange est prêt. L’infirmière prend le coton imbibé d’alcool. Là, je ne ris plus. L’aiguille, émoussée par un usage fréquent, va piquer ma fesse, et ça fait mal !
Ouf ! C’est déjà fini !
Annick à l'école d'infirmière en 1970
La sœur alors me tend le flacon vide que je vais m’empresser d’aller rincer. Je le débarrasse du cercle de fer pour ne garder que le caoutchouc du couvercle. Le petit flacon rejoindra ma « panoplie d’infirmière » pour jouer avec ma poupée et mes amies.
Petite fille, au dispensaire, j’étais toujours intriguée par une grosse boite en inox dans laquelle l’infirmière prenait les boîtes de seringues et les pinces à pansements. L’appareil chauffait. J’imaginais que c’est une couveuse à bébés pour les enfants nés avant terme. J’avais entendu les mamans parler de ces couveuses à l’hôpital .C’était assez mystérieux. Aujourd’hui, je sais que c’est un stérilisateur « Poupinel ».
Lorsque j’atteins l’âge de 7 ou 8 ans, mon père malade silico-tuberculeux, commence de longs séjours a l’hôpital, puis en sanatoriums où il décède à Helfaut, après une dizaine d'années de souffrance
L’année de son décès, en 1969, je suis entrée à l’école d’infirmière.
Parce que je suis infirmière !
Annick MILBRANDT, fille de Mineur