André Legrain
VISITE DU MUSÉE DE L’ÉCOLE ET DE LA MINE D’HARNES
Depuis sa création, l’Apphim s’est donnée comme nobles missions d’aider à protéger, de faire découvrir et de valoriser le patrimoine minier qui a pu être sauvé de la démolition ou de la disparition. Mais, au fait, qu’entend-on exactement par "patrimoine" ? Sont-ce les trop rares bâtiments souvent à l’abandon restants çà et là, sont-ce les quelques machines ou le matériel sauvés de la casse, sont-ce les musées créés et entretenus par quelques fous nostalgiques d’une époque que beaucoup veulent révolue, sont-ce les archives des Charbonnages ? Oui, certainement, mais nous sommes quelques-uns à penser que les histoires des hommes qui ont fait la mine, ceux qui ont gratté le charbon, les ouvriers du jour, les ingénieurs, les investisseurs du départ, les syndicalistes, les médecins, les curés ou les instituteurs des corons doivent aussi faire partie de ce patrimoine et peuvent être intégrées à la formidable épopée du charbon qui a duré deux siècles. "Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens". Ce proverbe berbère plein de bon sens nous rappelle que nous devons connaître nos origines, l’histoire de nos aïeuls, leurs modes de vie, leurs joies et leurs souffrances mais aussi leurs batailles pour un monde plus juste ; cet héritage du passé nous permet de comprendre un peu mieux la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui et son évolution.
En tant que Président de l’Apphim, je souhaitais depuis quelque temps rencontrer un de ces témoins éclairés de la dernière époque du charbon dans notre région pour recueillir quelques souvenirs et quelques anecdotes. Il s’agit d’André LEGRAIN, ancien mineur de fond et co-fondateur avec son épouse Fernande du Musée de l’Ecole et de la Mine d’Harnes dans le Pas-de-Calais. Lors de ma première visite dans cette boîte de Pandore, il y a quelques années, je fus émerveillé par la richesse de la collection exposée ; ce fut comme un voyage dans le temps agrémenté d’explications très précises et de détails savoureux qu’on ne retrouve dans aucun ouvrage. André et sa femme sont des narrateurs fabuleux qu’on écouterait pendant des heures. Ils racontent avec une passion débordante comment, avec une bande de copains, ils se sont démenés pendant des années pour obtenir un local suffisamment vaste pour présenter tout le matériel qu’ils avaient récupéré, rénové et remonté. Il en a fallu du temps, de l’énergie et des rencontres pour convaincre les décideurs de la nécessité absolue de préserver tout ce qui pouvait l’être afin d’expliquer aux générations suivantes ce qu’étaient la mine et les hommes qui en ont extrait le si précieux charbon, l’or noir de toute une époque. Le musée qui vient de fêter ses vingt ans d’existence est la grande fierté de la commune d’Harnes.
André est né en 1927 d'un père électricien à la Compagnie de Courrières et d'une mère tenancière d'un café situé à proximité de la salle des fêtes d’Harnes. Les mineurs se succédaient à l'époque dans ce lieu convivial dès leur remontée au jour. André raconte volontiers l'histoire d'Alfred CRÉPIEUX, travailleur à la fosse 9/17 (située de l'autre côté du canal), l’un des plus fidèles clients du café qui passait la passerelle aujourd'hui détruite pour une pause bien méritée avec ses amis du fond ; dans ce lieu de vie très animé, on s’informait de l’actualité du fond et des derniers potins du jour.
Un peu plus tard, André voulait devenir instituteur mais les responsables de la Compagnie passaient dans les écoles d’Harnes pour recruter des mineurs et des cadres. Avant la deuxième guerre mondiale, la Concession de Courrières qui était l’une des plus riches du bassin avait besoin de main d’œuvre. Les salaires proposés aux cadres étant bien supérieurs à ceux des instituteurs, c’est donc un peu forcé et malgré l'opposition familiale qu’André décide de préparer le concours d'entrée à l'Ecole des Mines de Douai. Reçu, il suit les cours théoriques dans l’institution et il descend pour la première fois en 1944 à la fosse 21/22 de Harnes en tant que stagiaire. Il s’intéresse et participe au travail des rocheurs, des raccommodeurs puis découvre celui d’abatteur ; les stages sont très physiques. André sera reçu 2ème de la promotion 1948. Il parfait sa formation en 1950 avec une expérience dans les Mines de fer de Tucquegneux en Lorraine.
Il revient dans sa région natale en 1953, Fernande étant souffrante. Il intègre alors le 14 du Groupe d'Oignies comme adjoint de taille en grande veine ; c’était une fosse très animée. " Tous les jours, il y avait des bagarres entre les salariés et tous les prétextes étaient bons pour les provoquer ! " explique-t-il en rigolant. En 1967, André est muté à la fosse 8 d'Evin-Malmaison ; il dirige l'équipe chargée de la sécurité générale au fond. Il gardera cette fonction à la fosse 2 puis à la fosse 9 d'Oignies où il terminera sa carrière en 1977. Sentant la fin du charbon proche car les sièges ferment les uns après les autres, il prend conscience très rapidement qu’il faudra créer des musées un peu partout pour maintenir la mémoire de la mine. En ce qui le concerne, il voudrait voir concrétiser cette idée à Harnes. Sa volonté et son opiniâtreté seront récompensées en 1994. En 2014, André, Fernande et quelques volontaires sont encore présents au musée tous les mardis et jeudis après-midi pour perpétuer l'atmosphère du fond et l’univers de l'école d'antan. Puissent-ils continuer leur œuvre de nombreuses années encore, c’est tout le mal qu’on leur souhaite ! L’Apphim délivre un grand merci et un sacré coup de chapeau à ces bénévoles passionnés. André LEGRAIN nous quitte le 25 Février 2015 laissant un grand vide dans l'univers de la mine ainsi qu'au musée.
Fernande et André Legrain AG 2013