L'autorité du père
L’autorité du père, la discipline (1950/1960)
Les enfants doivent obéissance à l’adulte : le père, l’instituteur, le curé… L’enfant est un être qu’il faut « dresser ». L’adulte a toujours raison. L’enfant n’a pas droit à la parole.
A l’école
A l’école, la discipline est rigoureuse. Les élèves se rangent en colonnes strictes et, l’entrée en classe est silencieuse. En cours il est interdit de parler sans l’accord de l’enseignant.
La maitresse surveille l’état de propreté. On lui montre les mains en entrant dans la classe. Une blouse grise protège les vêtements des garçons, tandis que les filles portent de jolis tabliers à motifs. Ma mère m’achète 2 tabliers par an, que j’alterne chaque semaine. Nous choisissons dans le magasin de vêtements, chemin Manot au 11. En période de rentrée scolaire, l’une des 2 vitrines de la boutique, est entièrement consacrée aux tabliers pour enfants.
Un cours d’instruction civique débute la journée par une leçon de morale. Les punitions de l’enseignant pleuvent en cas d’indiscipline ou de mauvais résultats scolaires :
- Des lignes à écrire 100 fois ou plus : « je ne dois pas parler en classe »,
- Des coups de règles sur le bout des doigts,
- Le port toute une journée d’un bonnet d’âne en carton,
- Une ardoise à porter au cou sur laquelle est inscrite la faute, ou le mauvais comportement,
- Le cahier mal soigné, épinglé au dos et se présenter ainsi, dans toutes les classes,
- La main gauche attachée, pour obliger les récalcitrants à écrire « de la belle main »,
- Rester debout derrière le tableau mobile durant de longues heures, ou bien le nez collé au mur,
- Une règle dans le dos pour se tenir bien droit,
- A genoux sur une règle (plutôt chez les garçons), les mains sur la tête.
Les élèves punis sont en général toujours les mêmes.
A la maison
Dans les maisons, les pères sont craints. Ils ont toute autorité sur l’épouse et les enfants.
Pour ma sœur Nadine, qui désobéissait, la sanction était « le martinet ». C’est un bâton d’environ 20 cm au bout duquel sont accrochées une dizaine de lanières en cuir de la même longueur, aussi longues que le bâton. Tous les enfants connaissent « le martinet ». Le vendeur ambulant de lait, qui passait dans les rues dans son camion Citroën, en plus de quelques articles d’épicerie, exposait un fort grand nombre de ces engins. Parfois, il n’en avait plus en vente, devant la forte demande. Certains pères le brandissaient seulement, en signe de menace, mais beaucoup les utilisaient, puisque l’adulte doit avoir toujours raison.
Je me rappelle, mon père prenait une chaise pour s’assoir. Il attrapait Nadine, la maintenait couchée sur le ventre contre ses genoux, et frappait ses fesses nues. Ma mère, qui s’interposait en criant, était repoussée violemment. J’assistais, figée, à la scène, criant à chaque coup infligé à ma sœur, comme si je les ressentais. Nadine, allongée sur le lit dans la position ventrale, sanglotait doucement sous la main caressante de ma mère, l’enduisant d’un baume adoucissant. La marche, les jours suivants, sur le trajet de l’école, s’avérait délicate. Les « saucissons » sur les fesses disparaissaient avec le temps.
Les institutrices se doutaient des blessures physiques de certains enfants, mais ne « soufflaient » mot. Le médecin, l’infirmière gardaient le silence.
Un jour, Nadine coupa à ras, les lanières de cuir au ras du bâton. Mon père, en un tour de main, déroula sa ceinture d’autour de la taille et la brandit. Ma mère s’accrocha à lui plus fermement que jamais, et il abandonna. Le lendemain, au clou sur le mur, un martinet tout neuf s’exposait à nos yeux.
Mon frère Christian a lui aussi connu le martinet. Mais, ce dont je me souviens le plus, c’est le cachot, dans la « cabane à lapins » où il a passé de longs moments, enfermé. Un petit réduit, qui servait tantôt aux poules, tantôt aux lapins. Ce local noir et froid dans lequel on ne tient pas debout, était ainsi « la punition » de mon frère quand il n’était pas sage !
Ma mère a bien pleuré et tenté d’empêcher les punitions, mais le chef de famille a toute puissance !
Papa d'Annick
Mon père savait aussi jouer avec nous et nous initier à toutes sortes d’activités manuelles, sportives… Il me racontait des histoires avant d’aller au lit. Ma préférée : « l’histoire de la petite poule rousse », qu’un jour, ne sachant pas encore lire, je lui racontais par cœur, à force de l’entendre. Nous passions de bons moments à la pêche avec lui : Fampoux, Brunemont, Aubigny au Bac … Nous aimions notre père et il nous aimait.
Une voisine malmenée par son mari venait régulièrement pleurer auprès de ma mère. Elle s’empressait de rentrer chez elle avant le retour de son homme ! La consommation d’alcool ne favorisait pas la tranquillité dans quelques foyers (vin, bière brassée au domicile, genièvre l’alcool régional).
Il était facile de repérer les habitations d’où sortaient les éclats de voix, les disputes, les murs qui tremblent sous la violence.
Si la solidarité est de mise au fond, entre les travailleurs, elle existe de la même façon chez ces mères de famille, femmes au foyer.
La condition de la femme, dépendante de son époux, à cette époque, dans les mines comme ailleurs, c’était la « soumission obligée ».
Dans les années 60, chaque enfant aura très certainement côtoyé un adulte trop brutal, un enseignant trop sévère, et ceci, dans quelque milieu social que ce soit.
Malgré toutes ces anecdotes, je qualifie les souvenirs que je garde de mon enfance : « Du Bonheur ». Dans l’esprit de l’enfant que j’étais, il me semble avoir évolué dans une famille aimante, avec des voisins, des camarades, des enseignants chaleureux, généreux, gentils, serviables.
Des moments douloureux, difficiles ? C’est le lot de chacun, quelques soient ses origines, et son époque…
Annick MILBRANDT, fille de mineur