35 ans de fond
Trente cinq ans de fond.
Ma vie de mineur
C’est parce que mon père a été licencié de la fosse 10 à BILLY-MONTIGNY pour fait de grève que ma vie de mineur a commencé. C’était en septembre 1948, j’étais le dernier garçon de la famille, j’avais 14 ans. J’ai quitté le collège et j’ai dû aller à la fosse pour garder notre maison.
Fosse 10 de Billy-Montigny
Après trois mois au triage, je suis descendu au fond, bien décidé à faire de mon mieux. J’ai fait toutes les activités des galibots : rouleur, hercheur, chargeur à une trémie, garde motrice, porteur de bois, de lampes, aide-racommodeur, aide-boutefeux, aide-tuyauteur, aide-raucheur, aide-géomètre, mécanicien de treuil. J’ai suivi des stages de formation au centre de BILLY-MONTIGNY et d’HÉNIN-LIÉTARD sur la sécurité, les règlements, la géométrie, le français, le secourisme. J’ai creusé des mines-image pour acquérir le savoir-faire des métiers du mineur. A 18 ans, abatteur avec mes copains, il fallait travailler dur pour atteindre le barème. Dans certaines tailles, le soutènement se faisait encore en bois : il fallait couper à la hache selon l’ouverture.
Galibots en Mine-Image apprenant leur futur métier
Après le service militaire (huit mois en Allemagne, 7 en Algérie et 8 au Maroc), j’ai repris à la fosse 6 de FOUQUIÈRES-LES-LENS à l’abattage. Dans la foulée, j’ai suivi, avec succès, une formation pour devenir agent de maîtrise : dix huit mois de stage ouvrier et dix huit mois de stage de commandement, alternativement au centre de formation et dans plusieurs fosses du secteur. J’ai démarré surveillant au 9 d’Harnes. Quatre plus tard, j’étais porion. Muté au 21 d’HARNES, j’ai suivi des cours pour devenir chef-porion. J’ai été envoyé au 4 de LENS où je ne connaissais personne. Il a fallu faire son trou dans une fosse où ce n’était ni les mêmes relations, ni les mêmes méthodes.
Fosse 7/7bis d'Avion
En 1976, je suis muté au 7 de LIÉVIN à AVION. Une vraie usine à gaz, tellement la mine était grisouteuse. Souvent les chantiers étaient arrêtés car les teneurs dépassaient les limites autorisées. A moins 910 mètres, il faisait chaud ; des ouvriers travaillaient en slip dans certains chantiers. En plus, les veines étant grandes et les toits très friables ; il y eut de nombreux éboulements. Malgré le soutènement marchant, il fallait rétablir un faux toit avec des quadrillages de bois au-dessus des chapeaux ; pour les ravancer, c’était dangereux ; on risquait de recevoir des chutes de pierres.
En 1982, à la suite d’un différend avec un ingénieur, je suis muté au 9 d’OIGNIES à l’IDT, Installation Démantèlement des Travaux. Ce ne fut pas une sinécure car le gisement était difficile : petites veines, nombreux bancs de terre, forte pression des terrains, galeries souvent écrasées. Le matériel moderne y fonctionnait mal. Les tailles ne duraient pas longtemps, il fallait les démonter et remonter souvent. Le transport du matériel était pénible car les voies étaient déformées. Le personnel était vieillissant, et l’ambiance vraiment pesante.
9/9bis d'Oignies, dernière fosse de Julien
En avril 1984, c’est avec bonheur que j’ai vu arriver l’heure de la retraite. Mes collègues m’ont offert un vélo de cyclotouriste que j’ai bien utilisé ensuite. J’ai eu de la chance de m’en sortir. J’en ai bavé, j’ai vécu des situations difficiles, j’ai vu des ouvriers grièvement blessés ou des tués. Parfois, les relations avec mes supérieurs et certains collègues étaient limitées ; d’autres fois, c’était avec des ouvriers qui ne respectaient pas les règles pour gagner plus. En regardant le passé, je me dis : ‘’C’est pas possible d’avoir vécu comme cela !!!’’ Heureusement, mon épouse m’a évité tout souci à la maison ou avec les enfants !
Julien et son épouse en 2016, photo GT
J’espère qu’un jour, on expliquera !
Julien LEHUT ancien mineur, avec la complicité de Florence MINI