L'attente
L’ATTENTE
Pendant toute mon enfance, c’est à peu près à la même heure que mon père, dépileur-foudroyeur à la fosse 5 d’AUCHEL, rentrait du travail alors que je me levais. Il revenait de son poste de nuit et moi je partais vers l’école.
Tout retard de quelques minutes de Papa perturbait ce cérémonial. Si je ne le croisais pas sur la route, je n’en menais pas large tout le reste de la journée. Quant à Maman, elle ne disait rien mais on voyait l’inquiétude sur son visage. Nous avions toujours en tête qu’il aurait pu être victime d’un accident.
Parfois, hélas, celui-ci arrivait. C’était en avril 1962 à la fosse 5 d’AUCHEL. Ce matin-là, mon père est rentré avec une heure de retard en pleurant, il était épuisé. Une taille s’était effondrée au cours de la nuit et son copain Léon avait été "remuché" (enseveli). Papa avait travaillé avec les sauveteurs pour le libérer mais à 7 heures du matin, le malheureux n’était pas encore dégagé.
Léon habitait rue de Nantes à MARLES-LES-MINES, dans la même rue que nous. L’une de ses filles, Nadine, était la meilleure copine de ma sœur Danièle. Ce matin-là, Maman est allée chercher comme d’habitude le pain à la boulangerie du quartier et elle est tombée sur Hélène, l’épouse de Léon, elle ne savait rien.
̎Léon doit faire du rabiot aujourd’hui, il n’est pas encore rentré ! ̎dit-elle.
Toutes les clientes savaient -les nouvelles se propagent vite dans les corons- mais elles ont préféré baisser les yeux en attendant d’en savoir plus. Dans la matinée, Léon a été dégagé mais il était trop tard. La Mine avait fait quelques orphelins de plus… Toute la journée, la famille, les voisins, les amis, les collègues du 5, les chefs de la fosse se sont succédé pour consoler Hélène et ses quatre enfants.
C’est arrivé il y a plus de cinquante ans mais je ne peux m’empêcher de verser une larme à chaque fois que j’y repense. Léon était une victime de plus de la mine. Quelques années auparavant, on parlait de bataille du charbon. Combien de morts a-t-il fallu pour être victorieux ? Fera-t-on un jour les comptes ?
Georges TYRAKOWSKI
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Un petit communiqué laconique en bas de la page 25 (Notre carnet) du Bruits et Lumières (revue du Groupe d’AUCHEL-BRUAY) n°8 de mai 1962. Il y avait presque chaque mois des petites informations de ce type. Photo GT |