Mes cornichons polonais
« Mes » cornichons polonais
La scène se passe dans les années 1970, dans les corons du 4 de Lens, à quelques mètres de l'entrée du célèbre dancing Le Gaity où Stéphane Kubiak est au sommet de sa gloire et de sa notoriété.
C'était un de ces dimanches que l'on ne connaît plus : presque personne devant la télévision en noir et blanc, beaucoup de monde au stade de football. Nous avions joué le matin-là, au stade Duflot à Calonne-Liévin, sous la conduite de notre entraîneur à la main de fer, Joseph Tomczyk.
Depuis
Le grand rendez-vous du dimanche soir, l’après-match avait toujours lieu au Gaity. Nous, les enfants de Polonais, nous tentions d'y attirer nos copains français.
Pas facile, car ils étaient fans de Led Zeppelin et de Rory Gallagher. Pourtant, l'un d'eux -dont je tairais le nom- accepta. Le choc pour lui.
A
Vous êtes des malades !, ce sont les mots qui lui montèrent à la bouche… Mais très vite, il vit les jolies filles. Pour leur plaire, il accepta de danser polonais –mal- et de boire -mal également- à la polonaise. Vers 1 h 30 du matin, il était sur les genoux et il fallut le reconduire chez lui.
C’est à Stéphane Kubiak que nous avons demandé de fournir des ogorki kiszone, des cornichons salés polonais, le meilleur remède pour décuiter.
Après en avoir avalé trois, il alla mieux.
Le lendemain, il racontait à tout le monde avoir mangé les plus grands cornichons du monde. Il venait de découvrir une spécialité polonaise.
Photo de la marque
Ces cornichons sont en fait beaucoup plus grands que les cornichons français au vinaigre. Ils sont marinés dans une saumure dont la recette varie d'une famille à l'autre mais qui comporte à chaque fois du koper, l’aneth apporté par les Polonais dans les corons. Quant au sel, il doit être non iodé.
Arrivés en masse dans les années 1920, les Polonais ont considérablement bouleversé les us et coutumes dans les corons du Nord et du Pas-de-Calais. Leurs jardins notamment. J'étais persuadé que nous étions en Pologne tant la différence était criante avec les autres jardins. Là, il y a un Polonais car de l'aneth pousse dans le fond. Ils vont bientôt faire leurs énormes cornichons entendait-on
Je me souviens des senteurs des bâtons de kohl, le chou. De temps en temps, j'arrachais une botte d'aneth et je la reniflais. J'imaginais déjà les cornichons sortant du bocal...
J'étais fier quand je présentais les cornichons faits par mes grand-mères et mes parents à des copains qui ne connaissaient pas cette spécialité.
Les premières bouchées déclenchaient des rictus. Pourtant, à chaque fois que l'un d'eux forçait un peu sur l'alcool, il me demandait un cornichon au sel polonais.
Ce qui était un aliment populaire de base est devenu aujourd'hui un acte aristocratique. Oui, je pèse mes mots !
Me voilà consul de Pologne, membre de l'Institut des civilisations et études polonaises à la faculté Jean-Perrin de Lens dans les anciens grands bureaux de Lens.
Là où les actionnaires parisiens des mines de Lens signaient le contrat de travail pour les mineurs Polonais, j'organise aujourd'hui des conférences internationales. Au buffet de clôture, j'éprouve toujours un infini plaisir à servir des cornichons polonais. Et je ne vous dis pas si c’est à ceux qui ont forcé sur l’alcool, ou non !
Henri Dudzinski, fils de mineur