L'île du diable
L’ÎLE DU DIABLE
J’habite à deux pas de la fosse 5 de CALONNE-LIÉVIN, une fosse ouverte de 1903 à 1971, mais c’est presque par hasard que j’ai découvert qu’elle était appelée "l’Île du Diable". Pourquoi ce surnom ? Il m’a fallu "mener l’enquête", la fosse ayant fermé depuis longtemps !
Facile de découvrir qu’en 1956, la fosse 5 a été concentrée sur le siège 6 d’ANGRES. Pas compliqué non plus de réveiller des souvenirs du travail des anciens, ils sont affichés sur un panneau devant la salle de l’Espérance de CALONNE-LIÉVIN: En 1965, mille mineurs descendaient chaque jour dans cette fosse sur trois postes et la production totale de charbon a été de 9,23 millions de tonnes.
Mais de "l’Île du Diable", personne n’en parle et pourtant elle existe vraiment… mais à des milliers de kilomètres de CALONNE-LIÉVIN. C’est l'une des trois îles du Salut en Guyane où, au XVIIIème siècle, étaient rassemblés les colons survivants des épidémies sur la côte de Kourou. C’est un îlot rocheux d’à peine un demi-kilomètre carré et dépourvu de toute végétation. Les Indiens Galibis y ont vu la résidence de l'Iroucan, l'esprit du mal. C’est dans cet îlot qu’un des bagnes de CAYENNE a été implanté pour les prisonniers politiques et de droit commun. Je tenais un bout de mon explication !
Revenons dans les Mines du Pas-de-Calais : après quelques recherches, j’ai découvert qu’on envoyait à l’Île du Diable de CALONNE-LIÉVIN les mineurs fauteurs de troubles des fosses voisines et même ceux des autres Compagnies. Jules GRARE, un mineur qui a écrit ses mémoires, en parle dans "Ma vie à Liévin" (L’Imprimerie Artésienne 1977). Il travaillait à la fosse 1 à l’époque des fameuses grèves de 1948 :
"Les affrontements furent rudes et LIÉVIN connut des journées chaudes. Chaque puits fut assiégé en règle. À la fosse 1, nous avions l’autopompe comme moyen de défense. À la fosse 5 de Calonne, ce fut différent : les grévistes avaient pris position sur le pont qui se trouvait à côté de la fosse. Chaque fois que les CRS chargeaient, ils étaient accueillis par une pluie de cailloux, de boulons de toutes sortes lancés par les grévistes cachés derrière un wagon qui avait été amené sur le pont pour servir de rempart et d’abri. La lutte fit rage. A un certain moment, le curé du quartier qui avait pris parti pour les grévistes n’avait pas hésité à se dresser devant les CRS qui menaçaient de tirer. À la suite des assauts répétés des gardes mobiles, le wagon fut balancé par-dessus le pont et atterrit au milieu de la route dans un fracas de tonnerre."
Il poursuit : "Contre ce déploiement de forces que pouvions-nous faire ? Nous avions perdu la bataille et combien d’entre nous le payèrent cher, très cher ? Je fus envoyé à la fosse 5 de Calonne qui avait la renommée d’être une fosse de communistes. D’ailleurs, n’appelle-t-on pas Calonne ̎Le petit Moscou ̎ ? Il m’avait été dit par mon ingénieur : ̎Comme vous êtes courageux, Grare, il n’est pas question de vous priver de votre pain ainsi que votre famille mais vous allez travailler à Calonne ! " et il avait ajouté en riant : ̎Vous serez dans votre élément !". Sous-entendu : "Là-bas, on va vous dresser !".
Il semble qu’il y ait eu dans le Bassin Minier plusieurs fosses de ce type où on rassemblait ainsi les fortes têtes. On m’a parlé de la fosse 3 de MARLES à AUCHEL, des fosses 6 et 7 de BÉTHUNE à MAZINGARBE où 1948 avait été très "chaud", de la fosse 4/5 Sud de MÉRICOURT où il faisait très chaud au fond, de la fosse 7 de DOURGES dite "du Dahomey" à MONTIGNY-EN-GOHELLE (grève très dure en 1941) et de la fosse St Mark à ESCAUDAIN mais il a dû y en avoir bien d’autres…
Mon père m’a raconté qu’à la fosse 3 d’AUCHEL où il a commencé en 1937, des grèves ponctuelles et spontanées éclataient pour un oui, pour un non. Quelques échanges "un peu musclés" avec un porion au fond suffisaient pour déclencher des réunions improvisées sur le carreau à la remontée. Si des copains avaient été punis ou avaient reçu une amende, tous les mineurs débrayaient le lendemain pour une durée indéterminée jusqu’à l’annulation des sanctions. On appelait cela de la ‘’solidarité’’. En 1948, les revendications étaient sociales dans un climat politique tendu.
C’est à la fosse 7 de DOURGES, en 1941, en pleine Seconde Guerre Mondiale, qu’avait commencé un mouvement unique en France pour l’amélioration des conditions de travail et une meilleure alimentation des Mineurs. Au bout de quelques jours, la grève s’étendit à tout le Bassin du Nord/Pas-de-Calais (100.000 grévistes) ; c’était le premier acte de résistance de travailleurs contre l’occupant et il a été suivi d’une terrible répression (400 Mineurs furent arrêtés, des dizaines furent fusillés et 270 furent déportés). Yves LE MANER et Étienne DEJONGHE ont fait de nombreuses publications sur le sujet. Les auteurs resituent les Résistants du Bassin Minier à leur juste place dans le combat contre les Nazis entre 1940 et 1944. "Pas d’carbon pour les Boches !" était le leitmotiv unanime au fond de toutes les fosses… Mais c’est une autre histoire !
Georges TYRAKOWSKI
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La fosse 5 de CALONNE-LIÉVIN dite "Île du Diable". |
Carte postale ancienne "L'île du diable" |
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Panneau à l’emplacement de l’Île du Diable. La fosse 5 a été concentrée sur le 6 d’ANGRES en 1956. Photo GT |
La Salle de l’Espérance aujourd’hui sur l’ancien carreau de fosse. Photo GT
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