21 décembre 1990
21 décembre 1990, la fin du charbon en Nord-Pas de Calais
Le 21 décembre 1990 Oignies
Le 21 décembre 1990, la fosse 10 d’Oignies arrête son extraction et marque la fin de l’exploitation charbonnière dans le Nord-Pas de Calais. Michel Louchart, chef porion d’exploitation et ses hommes exploitent pour la dernière fois dans la taille Michelle 224 sous le territoire de Courrières. La dernière berline remonte par le puits 9, servant d’habitude de puits de service, au milieu de la cohue des journalistes. Les derniers mineurs prennent chacun une dernière gaillette étreints par l’émotion.
La fosse 10, Carreau 2008
L’arrêt de l’exploitation est la suite logique des précédentes :
1968 - Fosse 9 Courrières, Fosse st mark
1969 - Fosse 5 de Bruay
1970 - Fosse de Sessevalle, fosse 2 Hénin Liétard
1971 - Fosse Delloye et fosse 6 de Liévin
1972 - Fosse 13 de Noeux
1974 - Fosse 2 Auchel
1976 - Fosse 18 de Lens
1979 - Fosse 6 de Bruay
1980 - Fosse Sabatier
1984 - Fosse Barrois
1986 - Fosse 19 Lerns
1989 - Fosse Arenberg
1990 - Fosse 9 de l’escarpelle
Le siège 9/9bis où est remontée la dernière berline en 2005
L’épopée du charbon s’achève après 270 ans exploitation. Quelques chiffres résument cette activité: 601 puits, 2362 millions de tonnes extraites, 100000 km de galeries et 329 terrils
CONFÉRENCE DE MINEURS DU MONDE SUR LA FIN DU
CHARBON NORDISTE À OIGNIES EN DÉCEMBRE 1990
Christian MORCZEWSKI, universitaire organisateur de conférences pour Mineurs du Monde, avait une nouvelle fois bien fait les choses le jeudi 19 février 2015 en invitant le public sur le site-même de la fosse 9/9 bis d’OIGNIES pour parler de la fin du charbon nordiste le 21 décembre 1990. La petite salle prévue à cet effet était pleine à craquer pour écouter les conférenciers qui se relayaient pour les explications et les commentaires sur les photos d’époque :
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Olivier KOURCHID, Directeur de Recherches au CNRS, spécialiste de l’histoire sociale du XXème siècle, natif d’OSTRICOURT, connu dans la région pour ses travaux sur la Compagnie des Mines de LENS (1984) et sur la fin du charbon dans le Nord/Pas-de-Calais (1988-1994),
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Désiré LEFAIT, le dernier Chef-porion du 9/9 bis, adjoint au Directeur pour les travaux du fond, venu apporter les détails techniques sur l’exploitation du charbon au siège 10 à la fin des années 80,
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Jean-Marie MINOT, l’un des responsables de l’ACCCUSTO SECI (l’association qui a sauvé et maintenu le carreau de la fosse 9 condamnée à disparaître en 1991), bénévole incollable sur tout ce qui concerne le charbon dans le Nord/Pas-de-Calais, il a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet.
Les trois intervenants : Jean-Marie MINOT, Olivier KOURCHID, Désiré LEFAIT
C’est Olivier KOURCHID qui a commencé la soirée-débat en présentant le contexte de l’époque (fin des années 80) : la récession irréversible commencée dans les années qui suivirent le second conflit mondial et qui touche à sa fin, la nécessité du reclassement des mineurs encore jeunes, le problème des friches industrielles, le lutte sans merci de certains politiques pour essayer de sauver des carreaux de fosse afin d’en faire des musées (Jean-Pierre KUCHEIDA, Député-Maire de LIEVIN à l’époque, a complété les propos de l’intervenant en expliquant son long combat avec CDF pour sauver le chevalement de la fosse 1 qu’il a finalement pu acquérir pour 50000 F, le prix de la ferraille… CDF n’a pas osé lui faire repayer celui voisin de la fosse 3 où a eu eu la catastrophe en 1974 !). Olivier KOURCHID a aussi expliqué le choix d’OIGNIES par CDF pour la fin du charbon dans la région, les raisons en sont multiples car la ville est un symbole à de nombreux égards :
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spécificité charbonnière : c’est à OIGNIES qu’on extrayait l’un des charbons les plus maigres du Bassin ; c’était presque de l’anthracite, c’est-à-dire le combustible qui se vendait le mieux. C’est à cause de cette qualité de minerai (carbone presque pur) que le Groupe d’OIGNIES ne possédait pas de carbochimie (contrairement aux autres Groupes qui extrayaient du charbon plus ou moins gras) ni de centrales thermiques (on brûlait dans celles-ci les combustibles de piètre qualité invendables) ; à noter que la machine d’extraction de 4000 CV du siège 2 d’OIGNIES, le fleuron de la Compagnie d’OSTRICOURT, n’était pas, de ce fait, électrique, elle a toujours fonctionné avec de la vapeur.
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spécificité minière : c’est à OIGNIES qu’ont été mises au point, grâce à l’apport de l’électricité, les exploitations des longues tailles à très haut rendement, ce qui a justifié la création du méga-siège 10 prévu pour extraire plus de 10000 t de charbon par jour (record atteint en 1971).
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spécificité historique : c’est à OIGNIES qu’on a découvert le charbon dans le Pas-de-Calais. Dans le jardin du château d’Henriette DE CLERCQ, l’ingénieur-sondeur parisien Georges MULOT, chargé par la propriétaire de creuser un étang, a découvert le précieux combustible lors d’un forage le 7 juin 1842 à – 179 m. Terminer l’exploitation là où elle avait commencé dans le département permettait de refermer la boucle.
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spécificité politique : c’est à LIBERCOURT, ville voisine d’OIGNIES, qu’a vécu l’un des syndicalistes miniers les plus connus, il s’agit de Léon DELFOSSE qui a eu une vie extraordinaire. Résistant communiste très actif et membre de la CGTU, il est, avec Auguste LECOEUR, l’un des organisateurs de la révolte des mineurs contre l’occupant en mai-juin 1941 à la fosse 7 des Mines de DOURGES dite fosse du Dahomey à MONTIGNY EN GOHELLE (100000 mineurs du Bassin se mettront en grève à la suite de leur appel). Arrêté par les Allemands, il est condamné à six ans de prison ; il s’évade et retourne chez les FFI où il est promu capitaine. Ses faits d’armes, son implication dans le mouvement syndical au sein de la CGTU et ses talents d’organisateur lui valent de faire partie des groupes de travail pour la nationalisation des Charbonnages (effective le 14/12/44) et pour la rédaction du statut des mineurs (14/06/46). Il devient Directeur-adjoint des HBNPC. C’est à ce poste qu’ il joue un rôle crucial pour les nouveaux acquis des mineurs (Château Agecroft à La Napoule près de MANDELIEU acheté le 05/05/47, nouvelles maisons mieux aménagées et plus confortables dites maisons Delfosse ).
La dernière berline de charbon extraite dans le NPdC.
Révoqué le 14/11/47 à la suite de la crise socialo-communiste, il continue d’être actif au sein de la CGTU pendant de longues années. En 1971, il devient 1er Adjoint au Maire de LIBERCOURT jusqu’en 1983 où il devient Maire jusqu’à 1986, date de son décès.
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spécificité polonaise : c’est à OSTRICOURT et à DOURGES, communes voisines d’OIGNIES, qu’il y avait le pourcentage de Polonais le plus élevé dans la population ; dans la cité Bruno de DOURGES dite Petite Pologne, ils représentaient 100% des habitants ! Terminer le charbon au 9 de l’ancienne Compagnie de DOURGES, c’est aussi rendre hommage à cette communauté qui s’est si bien intégrée.
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spécificité sportive : la section Athlétisme de l’Étoile d’OIGNIES a toujours été une pépinière de grands champions internationaux qui ont porté bien haut les couleurs de la ville et des HBNPC qui les soutenaient :
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Guy DRUT : champion olympique du 110 m haies en 1976, champion d’Europe 1974, recordman du monde en 1975, multiples titres de champion de France,
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Michel JAZY : champion d’Europe du 1500 m en 1962, champion d’Europe du 5000 m en 1966, vice-champion olympique du 1500 m en 1960, neuf fois recordman du monde, multiples titres de champion de France,
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Marcel DURIEZ : cinq fois champion de France du 110 m haies (1963, 1965, 1966, 1967, 1968),
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Frédéric PIETTE : huit fois champion de France du disque (1973, 1974, 1976, 1977, 1978, 1979, 1980, 1981),
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Pierre LEGRAIN : quatre fois champion de France du marteau (1948, 1949, 1951, 1953), il devint ensuite un entraîneur légendaire (c’est lui qui a détecté et formé Guy DRUT).
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Robert BART : champion de France du 400 m haies 1954.
Les sections de Basket-Ball de l’Étoile d’OIGNIES (championne de France de Nationale 1 en 1970-1971) et de Tennis de Table se sont également illustrées au niveau national tout comme l’AS Ste Barbe OIGNIES (football) qui est restée cinq saisons en CFA de 1950 à 1955.
Pour ce qui est des drames de la Mine, la commune d’OIGNIES n’a connu que deux catastrophes :
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le 23/03/44 : coup de grisou à la fosse 9 (Mines de DOURGES), 6 morts,
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le 28/03/46 : coup de grisou à la fosse 1 (Groupe d’OIGNIES), 13 morts.
On pourra en lire les comptes rendus sur le site de l’A.P.P.H.I.M ( catastrophes du mois de mars ).
Le siège 10 (1961-1990) au temps de sa splendeur (10000 t/jour en 1971).
Il ne reste aujourd’hui que le château d’eau qui devrait être abattu en 2015.
Un chiffre qui fait froid dans le dos a été donné par l’intervenant à propos des accidents dans le Nord/Pas-de-Calais (statistiques HBNPC) :
̎1 blessé pour 1000 descentes, 1 tué pour 1000 blessés. ̎
Estimation en 1947 : il y avait 220.000 mineurs dans tout le Bassin qui ont dû travailler chacun environ 300 fois en un an, ce qui représente 66.000.000 descentes. Avec la formule ci-dessus, cela aurait occasionné 66000 blessés, soit 220 par jour et 66 tués, soit plus de 5 par mois !!! Pour tout le Bassin, cela paraît plausible…
Jean-Marie MINOT a ensuite commenté de nombreuses photos montrant les fosses des Compagnies de DOURGES et d’OSTRICOURT à toutes les époques de l’exploitation, ses explications précises et argumentées ont une nouvelle fois montré qu’il était un expert incontournable et incollable sur l’épopée du charbon… mais qui en doutait ?
Désiré LEFAIT a terminé les interventions en expliquant les spécificités de la fosse 9 qui dépendait du siège 10 situé à DOURGES. Le champ d’exploitation de ce méga-ensemble était de la taille de PARIS intramuros. Le siège 10 dirigé les dernières années par Michel DOLIGEZ était prévu pour produire bien au-delà de 10000 t par jour, il a été victime de la récession. L’exploitation s’est terminée dans la veine Michelle 224 d’où a été extraite la dernière berline de charbon remontée exceptionnellement à la fosse 9 le vendredi 21 décembre 1990 ; 200 des 350 mineurs restants sont descendus ce matin-là. Désiré LEFAIT a ensuite répondu aux nombreuses questions concernant cette fin annoncée : l’émotion des mineurs, le matériel resté au fond, celui qui a été récupéré, celui qui a été revendu au prix de la ferraille, celui qui a été cédé au Musée de LEWARDE, le remblayage des puits, le rasage du siège 10 et de toutes ses installations de surface (sauf le château d’eau) , la lutte pour maintenir les installations de surface de la fosse 9, la naissance de l’Acccusto Seci en 1993, …
De 1858 (début de la fosse 1) jusqu’à 1990 (fin du siège 10), c’est 146 millions de t qui ont été extraites des fosses du Groupe d’OIGNIES. Une bien belle soirée se terminait. Merci à Mineurs du Monde, merci à Monsieur MORCZEWSKI et un grand bravo aux intervenants qui ont été passionnants du début à la fin.
Georges TYRAKOWSKI, Jean-Louis HUOT pour l'APPHIM