Julien LEHUT, ancien porion
Julien LEHUT, un ancien porion au caractère bien trempé !
Jacqueline et Julien LEHUT : 60 ans de mariage le jour de Noël 2016, un super couple avec lequel on ne s’ennuie pas une seule seconde ! Photo GT |
Il est grand, il est costaud, il a le verbe haut et il n’a pas sa langue dans sa poche, c’est un personnage ! Elle est toute menue, elle est discrète et elle parle tout doucement. Assurément, c’est la femme qu’il lui fallait, les contraires s’attirent ! Julien et Jacqueline forment un super-couple, ils fêteront bientôt leurs noces de diamant ! Ils ont eu deux enfants, Dominique et Philippe et plusieurs petits-enfants.
Je connais Julien depuis deux ans car nous faisions partie d’un groupe de rédaction créé par Mineurs du Monde et animé par Luc HOSSEPIED de janvier à juin 2014 ; nous étions une douzaine à écrire des petits textes sur les objets du Mineur, sur sa vie au fond de la fosse et sur tout ce qui se passait dans les corons. Julien, aidé par Florence MINI, a ainsi participé à la rédaction d’une douzaine de récits. Un livre illustré par des photos et contenant une soixantaine de textes aurait dû être édité en 2015, il sortira peut-être un jour…
On se revoit souvent depuis. Le 10 mars 2016, après la cérémonie du 110ème anniversaire de la catastrophe de COURRIÈRES à la Nécropole de MÉRICOURT, j’ai proposé à Julien de venir un jour chez lui (il habite à NOYELLES-SOUS-LENS à côté de la fosse 23) pour l’interviewer afin qu’il me raconte sa carrière de Mineur.
Julien, quel âge as-tu et quand as-tu commencé à travailler à la mine ?
J’ai 82 ans. C’est parce que mon père a été licencié de la fosse 10 à BILLY-MONTIGNY pour fait de grève que ma vie de Mineur a commencé. C’était en septembre 1948, j’étais le dernier garçon de la famille, j’avais 14 ans. J’ai quitté le collège et j’ai dû aller à la fosse afin que nous puissions garder notre maison. Papa était comme ça ! Délégué-mineur en 1938 et membre du PCF, il avait été incarcéré en 1939 au moment du pacte germano-soviétique puis prisonnier de guerre. A son retour, il a été résistant et pompier.
Comment se sont passés tes débuts à la mine ?
Après trois mois au triage, je suis descendu au fond, bien décidé à faire de mon mieux. J’ai effectué toutes les activités des galibots : rouleur, hercheur, chargeur à une trémie, garde-motrice, porteur de bois, porteur de lampes, aide-raccommodeur, aide-boutefeu, aide-tuyauteur, aide-raucheur, aide-géomètre, mécanicien de treuil, … J’ai suivi des stages de formation dans les centres de BILLY-MONTIGNY et d’HÉNIN-LIÉTARD sur la sécurité, les règlements, la géométrie, le français, le secourisme, …. J’ai creusé des "mines-images" pour acquérir les savoir-faire liés aux différents métiers du Mineur.
À quel âge as-tu commencé à travailler au charbon ?
À 18 ans. Nous étions quelques copains abatteurs, il fallait travailler dur pour atteindre le barème. Dans certaines tailles, le soutènement se faisait encore en bois : il fallait le couper à la hache à une dimension qui correspondait à l’ouverture de la veine puis le tailler. Ah, Le boisage, c’était vraiment un travail d’artiste ! Je suis ensuite parti au service militaire (huit mois en Allemagne, sept en Algérie et huit au Maroc).
Et à ton retour ?
À mon retour, j’ai repris à la fosse 6/14 de FOUQUIÈRES-LES-LENS, toujours à l’abattage… mais je voulais devenir agent de maîtrise.
Tu as suivi une formation ?
Oui, pendant 36 mois ! 18 mois de stage ouvrier et 18 mois de stage de commandement, alternativement au centre de formation et dans plusieurs fosses du secteur. J’ai démarré cette nouvelle carrière comme surveillant au 9 d’HARNES. Quatre ans plus tard, j’étais porion. Muté au 21 d’HARNES, j’ai suivi des cours pour devenir chef-porion. J’ai été envoyé au 4 de LENS où je ne connaissais personne ; il a fallu faire son trou dans une fosse où ce n’étaient ni les mêmes relations, ni les même méthodes.
Tu as changé souvent de fosse, non ?
Oui et c’étaient des conditions de travail toujours différentes. En 1976, j’ai été muté au 7 de LIÉVIN à AVION. Une vraie ‘’usine à gaz’’, tellement la mine était grisouteuse ! Souvent, les chantiers étaient arrêtés car les teneurs en méthane dépassaient les limites autorisées. À -910 mètres, il faisait chaud ; des ouvriers travaillaient en slip dans certains chantiers. En plus, les veines étant hautes et les toits très friables ; il y eut de nombreux éboulements. Malgré le soutènement marchant, il fallait rétablir un faux toit avec des quadrillages de bois au-dessus des chapeaux ; pour les ‘’ravancer’’, c’était dangereux car on risquait de recevoir des chutes de pierres !
Tu as terminé ta carrière à AVION ?
Non. En 1982, suite à un différend avec un ingénieur dû à la non livraison d’un matériel qu’on m’avait pourtant promis (étançons plus grands car la veine était devenue plus haute), j’ai dû être ‘’un peu désagréable’’ et j’ai été muté au 9 d’OIGNIES à l’IDT (Installation et Démantèlement des Travaux). Ce ne fut pas une sinécure car le gisement là-bas était difficile : petites veines, nombreux bancs de terre, forte pression des terrains, galeries souvent écrasées. Le matériel moderne y fonctionnait mal. Les tailles ne duraient pas longtemps, il fallait les démonter et remonter souvent. Le transport du matériel était pénible car les voies étaient déformées. Le personnel était vieillissant et l’ambiance vraiment pesante. Heureusement, j’y suis resté moins de deux ans et je suis parti à la retraite en avril 1984 après 35 ans et demi de fond.
Soulagé ?
Oh oui ! Ce fut un grand bonheur ! Mes collègues m’ont offert un vélo de cyclotouriste que j’ai bien utilisé ensuite. J’ai eu de la chance de m’en sortir. J’en ai bavé, j’ai vécu des situations difficiles, j’ai vu des ouvriers grièvement blessés ou tués… J’ai eu quelques relations difficiles avec des supérieurs qui en ‘’voulaient toujours plus’’ et même avec certains collègues ; d’autres fois, c’était avec des ouvriers qui ne respectaient pas les règles pour gagner plus. En regardant le passé, je me dis : ‘’C’est pas possible d’avoir vécu comme ça !!!’’. Heureusement, mon épouse m’a évité tout souci à la maison et avec les enfants !
Avec Julien, on peut discuter des heures de la Mine. Pour lui, on a l’impression que c’était hier. Comme beaucoup de Mineurs, il adore expliquer son travail. On a passé tout l’après-midi dans une taille en 1975 et il en a résolu des problèmes !
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Comment avancer en force les étançons trop serrés avec un baroudeur (treuil + moteur + chaîne) ?
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Comment rehausser un soutènement marchant avec du bois quand l’ouverture de la veine augmente ?
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Comment retirer des blindés coincés lors du démantèlement des chantiers ? Etc, etc…
On ne peut qu’écouter. Le tout est expliqué de façon très pédagogique sur des schémas en vue de face, en perspective cavalière, dessinés sur une feuille de papier et bien sûr les explications sont agrémentées d’anecdotes croustillantes (conflits avec les chefs, situations comiques, …). Ah, c’est vivant ! Mais quelle passion et quel amour du métier !!! De temps en temps, Julien s’arrête de parler, le souvenir d’un copain blessé ou tué vient de lui traverser la tête, on n’oublie jamais… Il avoue qu’il a quelquefois exagéré en s’opposant un peu trop violemment à un supérieur (‘’j’étais comme ça…’’) mais c’était toujours pour défendre ses hommes. Ah, il les aimait, ses hommes ! Il est un peu moins élogieux pour ses chefs (‘’il y en avait des bons quand même…’’) ; il garde un très bon souvenir de Michel DOLIGEZ, son dernier ingénieur divisionnaire à OIGNIES qu’il connaissait depuis le 7 d’AVION.
Depuis 2002, Julien participe de temps en temps aux réunions d’un club de réflexion municipal ‘’Mémoires de Mines de NOYELLES’’, pour promouvoir l’image du Bassin Minier ; une superbe vidéo sur le charbon a été réalisée, il m’en a offert une copie que nous ne manquerons de montrer aux jeunes et moins jeunes lors de nos expositions ou présentations dans les écoles. Il essaie également d’être présent à toutes mes commémorations des catastrophes qui ont eu lieu dans la région (COURRIÈRES, SALLAUMINES, MÉRICOURT, FOUQUIÈRES, LIÉVIN, …), il ne faut pas oublier, et il va voir avec Jacqueline toutes les conférences de l’Université Populaire de Mineurs du Monde où on parle du bon vieux temps…
MÉRICOURT, salle Aimé Lambert, 10 mars 2016, 110ème anniversaire de la catastrophe de COURRIÈRES : Gérard BUSTIN et Julien LEHUT. Quand ces deux anciens Mineurs passionnés par leur métier se rencontrent, de quoi parlent-ils ? Inutile de se le demander. Photo GT |
Un grand merci à Julien et à Jacqueline pour leur accueil très chaleureux et pour leur gentillesse, j’ai passé un superbe après-midi.
Georges TYRAKOWSKI pour l'APPHIM