Maudit marteau-piqueur !
Maudit marteau-piqueur !
Je te hais, je te maudis, je te vomis, toi le marteau-piqueur qui a envoyé des milliers d’hommes à la mort bien trop tôt, au nom de l’intérêt de la nation. Perdre sa vie à vouloir la gagner, voilà l’horrible pacte qui a été proposé, sans le dire, aux jeunes mineurs de fond du Nord/Pas-de-Calais, au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Il fallait du charbon pour reconstruire la France et lui donner son indépendance.
Pour accomplir cet acte noble de souveraineté nationale, il fallait du rendement : le fameux « million de tonnes de charbon ». Alors, le gouvernement d’unité nationale avec Gaullistes et Communistes, a envoyé au front du charbon une armée de volontaires à qui l’on a donné l’arme suprême, le marteau-piqueur. Sans précautions et sans arrosage, ils ont tapé dans le charbon ne sachant pas qu’ils allaient hériter de la maladie suprême du mineur, la silicose.
Comme à Stalingrad où les Soviétiques ont fait preuve d’héroïsme les armes à la main sous la contrainte du pouvoir, les mineurs ont été glorifiés par l'État. C’était la bataille du charbon. Mon père a fait partie de ces soldats du charbon, ces anonymes qui ont cru en un avenir meilleur et aux discours politiques plein de ferveur. Mais voilà, quand le verdict de la maladie est tombé, j’étais très jeune. A l’école, j’avais des dizaines de copains orphelins. Père mort à 33 ans, 35 ans, 38 ans… Des corbillards dans les corons tous les mois....
Mon père, lui, il est allé en Bourgogne pour se faire soigner. Il n’était plus à la maison. Nous étions bien seuls avec ma grand-mère, ma mère et mon petit frère. Les hivers paraissaient plus froids, les réunions de famille plus tristes, Noël bien fade…
Mais il a survécu et il est rentré dans l’anonymat. Il n’y a pas eu de défilé de la victoire de la bataille du charbon, le marteau-piqueur sur l’épaule. Dans ce qu’il a laissé après sa mort, une médaille du travail Grand Or qu’il a achetée. J’avoue que je ne voyais pas l’intérêt cet achat face à la douleur physique et morale.
D’ailleurs, on nous disait régulièrement : « Ne vous plaignez pas, vous les privilégiés du régime minier, tout est gratuit pour vous… ». C’est pourtant faux car les mineurs cotisaient plus qu’au régime général. En fait, ils payaient leur gratuité.
Aujourd’hui, je comprends l’achat de cette médaille du travail. Il voulait laisser une trace, lui l’ancien combattant de la bataille du charbon qui a abandonné ses deux poumons pour la France qu’il chérissait tant.
Mais toi, marteau-piqueur, si bien mis en valeur dans la longue liste des objets qui ont jalonné l’exploitation du charbon, je ne te pardonne rien. Tu es et tu resteras maudit. J’espère que jamais on élèvera un monument à ta gloire, bien présenté dans les mains d'un mineur au regard perdu vers le ciel…
Henri DUDZINSKI, fils de Mineur