Immigration Marocaine

L’IMMIGRATION DES MINEURS MAROCAINS DANS LE NORD/PAS-DE-CALAIS

Conférence de Mineurs du Monde 15 / 10 / 15 LENS

L’amphi 25 de la Faculté Jean Perrin de LENS était une nouvelle fois bien rempli pour venir écouter Abdellah SAMATE, Président de l’AMMN (Association des Mineurs Marocains du Nord/Pas-de-Calais), à propos de l’immigration marocaine dans le Bassin Minier au XXème siècle. Cette conférence ouvre la saison 2015 / 2016 de l’UP2M (Université Populaire de Mineurs du Monde) qui en est à sa troisième année d’existence ; Christian MORZEWSKI, l’heureux Président, remercie à ce sujet les fidèles participants à toutes ces soirées qui ont lieu le troisième jeudi du mois d’octobre à juin.

Abdellah SAMATE, un mineur devenu militant

Originaire de TAROUDANT au Maroc, Abdellah SAMATE arrive en France en 1963 pour travailler dans les Mines du Douaisis. Il est affecté comme mineur de fond au Siège Barrois de PECQUENCOURT et habite à MONTIGNY EN OSTREVENT. Blessé très gravement en 1967, il prend conscience des conditions de vie épouvantables de ses collègues et décide de militer pour les rendre meilleures. A cette époque, la moindre incartade ou critique renvoie le contestataire au pays, les Houillères sont impitoyables… C’est en 1989 qu’Abdellah SAMATE crée l’AMMN qui a son siège à DECHY (59) et dont il est encore le Président en 2015. Le 1er janvier 2009, il a reçu la Légion d’honneur pour toutes ses actions en faveur des Mineurs marocains. Les démarches de l’AMMN pour que leurs droits soient reconnus ont en effet été incessantes jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire vingt-cinq ans après la fermeture définitive des dernières fosses de la région.

Les différentes phases du recrutement des mineurs marocains

Les recrutements successifs des Mineurs marocains, selon le Dr Elkbir ATOUF (socio-historien de l’immigration), se sont opérés en trois phases bien distinctes qui s’étalent sur plus de cinquante ans :

  • La période coloniale dite ̎d’initiation ̎ de 1917 au début des années 50 : des milliers de jeunes Marocains du sud du pays arrivent en France en plusieurs fois pour subvenir à l’effort de guerre pendant le premier conflit mondial puis dans les années 30 (période d’or des Charbonnages) pour augmenter la production et enfin après la Libération pour gagner la bataille du charbon. Leur nombre total ne dépasse guère 3000 dans le Nord/Pas-de-Calais (1100 en 1922, 3000 en 1948, 1500 en 1952) car on leur propose des contrats à durée limitée de 6 à 18 mois de sorte qu’il y a un renouvellement permanent des hommes.

  • La période 1956-1965 dite ̎de consolidation ̎ : c’est l’avènement des grands sièges de concentration, beaucoup de fosses ont été arrêtées mais grâce à la modernisation, la production reste importante (1959 est l’année-record avec 29 millions de t pour le Nord/Pas-de-Calais). Au début des années 60, on sait que la récession est inévitable (fin de l’exploitation programmée dans les années 80) et les Houillères évitent d’embaucher des jeunes Mineurs français de peur de ne pouvoir leur assurer une carrière complète. Il est donc préférable d’aller chercher des Marocains. Cette main d’œuvre moins exigeante, moins chère, en contrat à durée déterminée est aussi ̎plus souple ̎ en période de crise énergétique (le pétrole commence à supplanter le charbon dans de nombreux domaines) et donc de possible restructuration ; les effectifs passent ainsi de 2000 en 1960 à presque 12000 en 1965 (20000 Marocains sont passés dans la région durant ces cinq années).

  • La période 1965-1977 dite ̎de régression ̎ : la fin du charbon est désormais inéluctable (1985 ? 1990 au mieux ?). Les jeunes français ne sont plus, depuis longtemps, candidats pour travailler dans les mines car le métier est trop pénible et il n’y a pas d’avenir. Les Marocains présents et quelques autres recrutés pour une durée limitée feront très bien l’affaire et ils repartiront progressivement au pays, voilà le calcul des Houillères qui ne souhaitent pas organiser de reconversion pour des étrangers ; cette période est donc marquée par le déclin puis la fin de l’embauche de la main d’œuvre maghrébine.

On estime à 78000 le nombre total de Mineurs marocains ayant travaillé dans les Houillères Nationales.

Les modalités du recrutement des Mineurs marocains dans le Nord/Pas-de-Calais

Le personnage incontournable des opérations d’embauche est Félix MORA, un ex-officier de l’Armée Française chargé des Affaires Indigènes en Afrique. Il est recruté en juillet 1949 par les HBNPC pour organiser le recrutement et le contrôle de la main d’œuvre maghrébine dans le Sud marocain. Dès 1950, il s’installe à BILLY-MONTIGNY où sont centralisées les données administratives. Son supérieur hiérarchique est le Commandant François d’ACHON qui crée un service policier chargé de la surveillance de la main d’œuvre embauchée mais c’est Félix MORA lui-même qui dirige les opérations sur le terrain : au début des années 80, il se plait à dire que, pendant la période de consolidation de 1956 à 1977, c’est lui et lui seul qui a recruté les 78000 marocains accueillis en France dans 33 ̎cités de célibataires ̎.

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La zone de recrutement de Félix MORA dans le sud du Maroc : Agadir, Ouarzazate, Taroudant, désert de Sous. Photos GT

Félix MORA est l’homme sûr des Houillères car il connaît très bien les dialectes et les coutumes des populations nomades qu’il rencontre. Il s’assure la confiance de ces peuples qui vivent dans des conditions très précaires ; il promet du travail aux hommes dans les mines de France, un logement gratuit et des salaires intéressants (44 F/jour) à tel point que les candidats au départ se bousculent et qu’ils attendent quelquefois plusieurs jours la venue du messie qui n’est pas toujours ponctuel. Quand Félix MORA est enfin là, la sélection individuelle qu’il dirige lui-même peut durer des heures. Les candidats qui doivent être âgés entre 20 et 30 ans, peser au moins 50 kg et avoir une bonne vue sont alignés et passent devant lui torse nu ; il examine leurs dents, tâtent leurs muscles et contrôle leur colonne vertébrale. Un cachet vert sur la poitrine veut dire ̎bon pour le service ̎, c’est l’indispensable sésame pour l’eldorado ; un cachet rouge signifie que le candidat est refusé… Pour tous les heureux élus, la sélection n’est pas finie. La seconde étape est celle de l’ONI (Office National d’Immigration) à CASABLANCA où la visite médicale est cette fois très poussée. ̎On nous hurle de nous mettre tous à poil, des docteurs des Mines sans blouse blanche nous examinent et nous tripotent les bras, le dos, les jambes, les dents, les mains, les ongles… ̎ raconte le Mineur Saïd dans le roman ̎Tout un homme ̎de Jean-Paul WENZEL. Dans le même ouvrage, l’auteur qualifie MORA de ̎négrier ̎et il écrit que les Marocains l’appellent ̎Moraura ̎. Les Houillères ne recherchent pas des Berbères intelligents qui savent lire, écrire ou parler français car ils pourraient se révolter quand ils verront leurs conditions d’accueil et de travail en France, on ne veut que ̎du muscle  ̎. Devant les employeurs, il faut se montrer robuste, en bonne santé et ̎faire l’âne, le bourricot comme ils disent ̎ précise Saïd en ajoutant ̎Non, nous ne sommes pas sur un marché d’esclaves des temps anciens, nous sommes en 1973 et la France recrute des Mineurs dans le Sud marocain. ̎ Les Houillères proposent des contrats de dix-huit mois renouvelables.

Le roman historique de Jean-Paul WENZEL qui raconte le recrutement des Mineurs marocains dans les années 60-70, leur arrivée en France et leur nouvelle vie. (Editions Autrement 2011)

Le recrutement des mineurs s’effectue sous les regards inquiets des femmes qui vivent très mal ces départs massifs des hommes les plus jeunes et les plus forts. Que faire pour les retenir ? Rien, les hommes leur enverront de l’argent pour qu’elles vivent mieux et pour qu’elles donnent une meilleure éducation aux enfants et ils vont bientôt revenir. Que feront-ils là-bas quand ils ne travailleront pas ? Pourront-ils vivre sans leur famille ? Ne vont-ils pas rencontrer une autre femme, une européenne, qui les empêchera de revenir ? Après le départ des hommes, les femmes restent solidaires et se consolent mutuellement en chantant Timnadin, ce sont des petites pièces de théâtre improvisées tant mélancoliques qu’humoristiques dans lesquelles elles chantent leurs inquiétudes mais aussi leur rancœur à l’égard de Félix MORA :

  • Mora est venu à l’étable d’El Qelâa, il a choisi les béliers et laissé les brebis.

  • Mora est venu au bureau de Msemrir, il a pris les plus précieux et nous a laissé les plus insignifiants.

  • Mora n'a sélectionné que des bourgeons, il ne reste que l'imam et les plus faibles.

  • Les plus beaux sont partis, les moches nous rendent la vie difficile.

  • J'ai tant espéré être tamponné de vert mais le rouge m'a paralysé.

  • Même l'imam a été emmené par Mora. Pauvres mosquées, elles sont devenues vides.

  • O soleil, tu n’éclaires plus mon cœur, mon amant est parti sans même me dire «au revoir».

  • J'avais tant pleuré à en mourir le jour du départ de mon bien aimé chez les chrétiens.

  • Oh mon Dieu, protège mon amant qui ne peut résister ni au soleil ni au dur travail des chrétiens.

Extraits de chants amazighs (tribu de la plaine du Sous) recueuillis et traduits par Lhoussain AZERGUI.

Les enfants, même si leur papa ou leur grand frère leur manque, sont un peu moins inquiets car il reviendra bientôt les bras chargés de cadeaux. Les jeunes garçons, eux, sont en admiration devant les photos où on voit les hommes de la tribu avec des casques de mineur et ̎une petite lumière sur la tête ̎, ils espèrent qu’ils pourront eux aussi partir un jour prochain .

Arrivée à LILLE par le vol régulier CASABLANCA-BORDEAUX-LESQUIN.

Enfin en France ! On est fiers d’être là !

L’arrivée au Centre Centre d’accueil de NOYELLES-SOUS-LENS.

L’accueil des Marocains en France

Dès leur arrivée dans le Bassin Minier, les Marocains sont pris en charge par le Département de la Main d’œuvre Étrangère du Service de Gestion et d’Administration du Personnel des Houillères qui s’occupe de leur accueil, de leur hébergement et de leurs formations professionnelle et linguistique. Après la traditionnelle visite médicale d’embauche (encore une…), les nouveaux arrivants sont invités à remplir toutes les formalités administratives en une seule séance en présence d’un membre du Consulat du Maroc de LILLE (créé en 1957) qui s’occupe de recueillir les données concernant les travailleurs pour leur faire obtenir la carte d’identité consulaire. Des responsables des PTT leur font ouvrir un livret de Caisse d’Epargne sur lequel sera viré le salaire et un agent de la Banque Marocaine du Commerce et de l’Industrie leur fait signer les documents qui permettront les transferts d’argent vers la famille restée au pays.

Les formalités administratives indispensables lors de l’arrivée en France : établissement d’une carte d’identité consulaire avec prise de photo, ouverture d’un livret à la Caisse d’Épargne, signature d’une dérogation avec une banque marocaine pour l’envoi d’argent au Maroc, informations diverses sur l’hébergement, les horaires et programmes du stage de formation et sur l’avance sur salaire qui permettra de tenir financièrement jusqu’à la quinzaine.

Livraison des ̎loques ed fosse ̎.

En route vers le Foyer !

La formation linguistique des Mineurs marocains

C’est au centre de NOYELLES-SOUS-LENS que s’effectue la formation linguistique de base. Il faut se parler au fond de la fosse et comprendre les ordres donnés en français par les chefs, savoir reconnaître les inscriptions sur les panneaux (chiffres, signes, horaires, consignes de sécurité) et sur les machines, savoir écrire et savoir compter ; ces apprentissages élémentaires sont bien sûr aussi indispensables à l’extérieur de la mine dans la cité car ils permettent de communiquer un peu avec les gens quand on sort des baraquements.

L’apprentissage de la langue française parlée et écrite et du calcul au Centre de NOYELLES-SOUS-LENS est fondamental pour ces ouvriers dont la plupart sont analphabètes et ne connaissent rien de la France ni de la Mine.

La formation technique des Mineurs marocains

Pendant quatre semaines, se déroule la formation professionnelle des nouveaux arrivés à la Mine-image de NOYELLES-SOUS-LENS. Ceux-ci doivent se familiariser avec tout l’outillage utilisé au fond de la fosse, avec le vocabulaire, avec les procédures de travail et les règles de sécurité. Pour ceux qui iront ̎au charbon ̎, il est indispensable de s’initier à l’installation d’une pile ou aux techniques de foudroyage. Les Mineurs qui seront nommés dans le Douaisis ou le Valenciennois ont droit à une formation complémentaire en soutènement bois.

Branchement de la lampe.

Installation d’un étançon.

Utilisation d’un palan.

Manutention d’un objet lourd.

Les conditions de travail des Marocains au fond de la fosse

Et c’est enfin la première descente à plusieurs centaines de mètres de profondeur et la découverte des chantiers réels ! Comment peut-on travailler dans le noir, le bruit, la poussière et la crasse dans un espace aussi confiné pendant tout un poste ? Se mêlent alors des sentiments de peur, peur de ne pas avoir la force ou le courage, peur d’être tué ou blessé, peur d’être maladroit, puni et condamné à remplir des sacs de sable anti-grisou (sanction suprême synonyme d’arrêt du contrat et de retour forcé au pays). Bien entendu, les Mineurs marocains sont affectés aux tâches les plus dures, celles que leurs collègues français vieillissants ne veulent plus faire, et dans les quartiers les plus dangereux : abattage dans les tailles les plus difficiles (faible ouverture, chaleur), creusement des voies, manutention du matériel lourd sur les convoyeurs blindés, … Ce sont eux qui doivent assurer la rentabilité en cette période de fin du charbon. Ils sont certes respectés au fond de la mine car ils sont très courageux mais les paies ne suivent pas et les primes sont maigres, ce sont des travailleurs ̎en bas de l’échelle ̎.

Les conditions de vie des Mineurs marocains célibataires dans la cité

Les premiers Marocains arrivés dans les Mines sont logés dans des cités de célibataires en dehors des villes et constituées de baraquements qui ont déjà servi pour d’autres immigrés avant eux. Dans ces logements à la limite de l’insalubrité, il n’y a pas de chauffage. Dès que l’automne arrive, le petit poêle est insuffisant pour amener le local à une température confortable ; le Mineur marocain qui a passé sa vie dans la canicule du désert a froid. L’humidité du baraquement provoque moisissures et mauvaises odeurs, ce qui ne semble guère gêner les rats qui prolifèrent. A cause des accès extérieurs non aménagés et boueux, la saleté est permanente malgré les efforts des hommes qui vivent à plusieurs dans un espace confiné. Il n’y a pas d’intimité et on entend tout ce qui se passe dehors car les murs en bois sont de faible épaisseur. Mais les Mineurs marocains ne se plaignent pas ! Ils acceptent ces conditions insalubres car ils veulent gagner leur vie et envoyer de l’argent à la famille restée au pays. Pas de sorties, pas de filles, pas de femmes ! Il y a un climat de misère sexuelle permanent que ces hommes jeunes ont beaucoup de mal à supporter. De temps en temps, le jour de la quinzaine, des prostituées venues en autobus de la région lilloise viennent proposer leurs services et certains se laissent tenter ; quelques-uns le regretteront car ils contracteront des maladies ̎honteuses ̎ que le Médecin des Mines, compréhensif, devra soigner…

L’arrivée des familles marocaines à partir de 1980 et leur intégration dans la société française

En 1980, les Mineurs marocains du Nord/Pas-de-Calais et de Lorraine se révoltent. À la suite de cette première grève, ils forcent les Houillères à leur attribuer le statut de leurs collègues français et obtiennent enfin les avantages qui y sont liés : travail assuré jusqu’à la retraite (fin des contrats à durée déterminée), plan de carrière, droit au logement individuel (possibilité de faire venir l’épouse et les enfants), gratuité des soins pour toute la famille, … C’est (en principe) la fin de la précarité ! La moitié des Marocains font venir leurs familles et ce n’est pas moins de 5000 enfants qu’il faut scolariser. C’est une première grande victoire.

Les familles qui occupent désormais des logements dans les cités minières doivent apprendre à vivre avec les Français qui les accueillent et ce n’est pas toujours facile… La barrière de la langue (pour les femmes surtout car les enfants apprennent vite le français à l’école), la religion musulmane, les façons de s’habiller ou de se nourrir peuvent constituer des obstacles pour une bonne intégration. Abdellah SAMATTE raconte qu’il a entendu un jour une remarque d’un petit garçon à sa maman venue le rechercher à la fin de la classe : ̎Maman, ne parle plus notre langue ici car tout le monde va croire qu’on est arabes… ̎.

Si dans les corons, il y a la plupart du temps une coexistence pacifique et une solidarité entre les différentes communautés (français, marocains, algériens, polonais, italiens, …), ce n’est pas toujours le cas à l’extérieur (écoles, dancings, clubs sportifs, …) où il y a souvent des incidents dus au racisme antimaghrébin (c’est encore le cas aujourd’hui…). Abdellah SAMATTE le déplore mais il comprend avec beaucoup d’émotion que certains jeunes de sa communauté se rebellent devant ce qu’ils pensent être des injustices. ̎Nous, les papas, nous avons été traités comme des esclaves et on nous a humiliés maintes fois mais nous l’avons accepté car nous n’avions pas, d’une part, les outils pour nous défendre et d’autre part, parce que nous risquions d’être renvoyés au pays mais nos enfants, eux, sont français car ils sont nés ici ; ils ont fait des études, ils savent donc se défendre contre l’injustice, ils n’acceptent pas d’être traités comme leurs pères qui ont pourtant rempli leur devoir au fond de la fosse ! ̎

Ces paroles très fortes prononcées avec beaucoup de gravité devant un auditoire très ému montrent la détermination d’un personnage hors du commun qui rappelle que beaucoup d’hommes de son village ont servi au sein des deux divisions marocaines de la 1ère Armée française qui a combattu en Italie en 1943 et libéré la France en 1944 et ce sont leurs fils que Félix MORA est venu chercher au Maroc ! En arrivant dans le Bassin Minier, ceux-ci ne prennent pas le travail des Français car ceux-ci ne veulent plus être Mineurs. Certains Élus politiques ont bien vite oublié qu’on est allé chercher les Marocains chez eux et qu’on les a utilisés au fond de la fosse pour les tâches les plus pénibles qu’ils ont accomplies avec courage et fierté en laissant leur jeunesse, leur santé… et leurs illusions ! Où est la reconnaissance du pays hôte ? Abdellah SAMATTE préfère ne pas commenter la montée en puissance actuelle d’un parti politique français qui fait de l’anti-immigration son cheval de bataille mais il affirme qu’il la vit très mal pour les enfants et les petits-enfants des Mineurs marocains qu’il représente.

Les luttes des mineurs marocains pour la reconnaissance de leur travail de leur statut

1) L’obtention du Statut du Mineur en 1980

Les Mineurs marocains sont disciplinés, ils ne discutent pas les conditions de travail qu’on leur impose. Pourquoi revendiquer alors qu’on ne restera que 18 mois ? Et puis, pendant les grèves, on n’est pas payé… Prenant progressivement conscience que toute la production de charbon repose sur eux, ils veulent être un peu plus reconnus et ne plus subir et ils exigent les mêmes avantages que leurs collègues français. En 1980, ils organisent une grève qui n’est pas officielle pour leur employeur car ils ne sont pas syndiqués. Comme ce mouvement de protestation concerne les deux Bassins les plus productifs (Nord/Pas-de-Calais et Lorraine), les Houillères Nationales finissent par céder et accorder aux Marocains le même statut que celui des Français. C’est une grande victoire ! Ils pourront faire venir leurs familles en France, y scolariser leurs enfants et postuler pour le congé de reconversion, la pré-retraite et même la retraite pour les plus anciens ; certains ne feront que postuler car ils ne rempliront que très rarement les conditions requises pour profiter de ces avantages. On leur promet également une prime de retour ; ceux qui l’acceptent le regretteront rapidement car les sommes attribuées seront trop faibles pour permettre une reconversion au Maroc et parce que ceux qui sont silicosés ou blessés ne seront plus suivis ni pris en charge au pays, beaucoup termineront ainsi leur vie malades et dans la misère.

            2) Le coup de force raté des Houillères Nationales en 1987 

Depuis le début des années 80, les fermetures des grands sièges se succèdent (Sabatier à RAISMES en 1980, Barrois à PECQUENCOURT en 1984, 19 de LENS en 1986), il n’en reste plus qu’une poignée qui ne devraient pas atteindre 1990. Dans cette atmosphère de récession, les Mineurs marocains deviennent indésirables.

Depuis 1985, ils reçoivent des offres de départ et 600 d’entre eux ont déjà accepté mais c’est une minorité. Le courrier du 25 septembre 1987 envoyé aux 350 Marocains qui travaillent au 3 / 5 de COURRIÈRES (c’est l’ex-fosse 5 / 12 de SALLAUMINES qui est rattachée au siège 3 / 15 de MÉRICOURT) fait l’effet d’une bombe.

HOUILLERES DU BASSIN DU NORD ET DU PAS-DE-CALAIS

DOUAI, le 25 septembre 1987

Monsieur,

L’exploitation de votre Siège s’arrêtera le 31 décembre 1987. A cette date, nous n’aurons plus d’emploi à vous proposer. Votre situation personnelle vous donne le choix entre les deux possibilités suivantes :

  • retourner dans votre pays d’origine avec les aides matérielles et financières * que l’Entreprise accorde,

  • bénéficier de l’aide que l’Entreprise peut vous apporter dans la recherche d’un emploi de conversion.

Pour permettre aux Services du Personnel de mieux vous aider lors de votre reclassement à la fermeture de votre Siège, nous vous demandons de faire part de votre choix à la cellule d’orientation de votre Siège avant le 15 octobre 1987.

A défaut de réponse pour cette date, nous considèrerons que vous faites votre affaire personnelle de votre propre reclassement et vous serez automatiquement mis en congé individuel d’adaptation professionnelle à une date qui vous sera précisée en fonction du calendrier de réduction d’activité de votre Siège.

Nous vous prions, Monsieur, d’agréer….

* : entre 136000 F et 270000 F selon l’ancienneté, sommes non indiquées dans le courrier.

Le 1er octobre, la CGT demande à ses adhérents de débrayer une journée pour protester contre les fermetures des puits à venir (principalement le siège 3 / 15) mais les Mineurs qui sont devenus fatalistes reprennent le travail le lendemain… sauf les 2500 Marocains ! L’un d’entre eux apostrophe les médias :

̎Si les Houillères veulent liquider le charbon du Nord/Pas-de-Calais, c’est leur problème. Nous, on a laissé notre santé ici, on doit être respecté, on ne peut pas nous dire du jour au lendemain « Prends ton fric et tire toi ! » ̎

Les Marocains ne sont pas dupes, le chômage est très élevé dans la région et il leur sera très difficile de retravailler car la priorité sera accordée aux Français. Ils comprennent que c’est leur retour au pays qui est souhaité et avec celui-ci la perte de tous les avantages acquis en 1980.

Mais le problème n’est pas que financier. Lors de leurs voyages au Maroc pendant les congés, les familles qui vivent en France sont de plus en plus considérées comme étrangères dans leur pays natal ; les enfants, quant à eux, ne désirent pas le retour car ils ne connaissent rien de la vie marocaine et ils sont français avant tout. Le pays des ancêtres est certes attractif pour les vacances mais on ne veut pas y vivre car il n’y a pas de modernité et parce qu’il y a également de gros problèmes de chômage et là aussi, les privilégiés revenus de France pour retrouver un emploi ne seront pas prioritaires. Alors que faire quand on est considéré comme des étrangers dans les deux pays ? La grève des Marocains est partie pour durer…

Les grévistes devant les grilles de la fosse 5 /12 de SALLAUMINES en 1987. Image INA

Pendant deux mois, on discute tous les jours de la conduite à tenir, on pèse le pour et le contre de chaque proposition mais pendant les rencontres avec les Houillères, ce sont des Membres de la CGT qui représentent les Marocains (à cause de leurs difficultés à s’exprimer, ceux-ci ont peur de se faire manipuler par les Délégués de l’État patron…).

Le conflit s’éternise… Le combat des Marocains n’intéresse pas grand monde et la Direction se fiche de la diminution de la production qui n’est plus l’objectif (ce sera autant de déficit en moins…). Dans ces conditions, on ne peut pas faire pression sur elle et la reprise du travail est inévitable, elle se fait dans une atmosphère de déception et de rancœur (comme très souvent dans le passé après chaque grève des Mineurs). La CGT a quand même obtenu que les Marocains qui souhaitent rester en France et retrouver un emploi soient traités sur le même pied d’égalité que leurs collègues français… L‘avenir va malheureusement montrer que ce ne sera pas souvent le cas !

A cause d’un niveau scolaire insuffisant à la limite de l’illettrisme, la plupart des Marocains ne peuvent retrouver un travail comme leurs collègues français mutés dans des entreprises nationalisées comme EDF et la Compagnie Générale des Eaux. Quelques-uns ont réussi à se faire embaucher dans le bâtiment ou dans les travaux publics et ils ont là aussi des salaires de misère et peu d’avantages. La plupart des 3000 Marocains restés dans le Nord/Pas-de-Calais vivent aujourd’hui dans des cités minières (pas toujours rénovées…) ; à cause de leurs anciennetés insuffisantes, ils touchent des pensions de misère. L’Etat français n’a pas beaucoup de reconnaissance !

3) La dignité retrouvée

Au moment de leur départ des Houillères, les Mineurs français ont obtenu le rachat de leurs avantages en nature (logement et charbon de chauffage) ; avec ce pécule, certains ont pu financer l’acquisition de la maison qu’ils occupaient. Leurs collègues marocains n’ont pas eu cette chance qui n’est réservée qu’aux ressortissants de la Communauté Européenne. Ecœurés, ceux-ci ont entamé des démarches contre leur ancien employeur, l’Etat français, pour montrer le caractère discriminatoire de cette loi. Ils ont dû se battre pendant près de vingt ans pour obtenir raison. Le Conseil des Prud’hommes en première instance en 2010 puis la Cour d’Appel de DOUAI en 2013 ont estimé que les Marocains méritaient de recevoir un patrimoine susceptible d’être transmis à leurs descendants, chacun d’entre eux devrait ainsi se voir attribuer une indemnité de 40000 €. Abdellah SAMATE conclut sa conférence en précisant que ce n’est pas là l’essentiel, le plus important est d’avoir retrouvé un peu de dignité après des décennies de souffrance… La salle s’est levée pour applaudir chaleureusement ce personnage extraordinaire venu nous présenter le combat un peu oublié d’une poignée d’hommes qui voulaient simplement qu’on les respecte parce qu’ils avaient fait leur devoir comme tous les autres Mineurs.

Georges TYRAKOWSKI pour l'APPHIM

Pour en savoir plus :

  • ̎ Du bled au coron, un rêve trahi ̎ : c’est un ouvrage très fort publié en 2008, c’est un travail d’enquête de deux sociologues, Saïd BOUAMAMA et Jessy CORMONT, qui ont réalisé des interviews d’anciens Mineurs marocains et de leurs enfants.

  • ̎Mine de mémoires ̎ : c’est le premier film d’un jeune réalisateur très doué, doctorant en cinématographie, Florent LE DEMAZEL, sorti en 2012 et qu’on peut regarder gratuitement sur You Tube. C’est une suite de témoignages d’anciens Mineurs français, italiens et marocains qui ont travaillé à MÉRICOURT. Émotion garantie…

  • ̎Les passagers du charbon ̎ : c’est le second film du réalisateur précédent sur le même thème, sorti en 2014, visionnable également sur You Tube. L’objectif est de faire découvrir au spectateur, plus de trente ans après la fin de l’épopée du charbon dans la région, ce que les mineurs (ouvriers, ingénieurs, électromécaniciens, machinistes, …) de toutes origines (française, polonaise, marocaine) pensaient à l’époque de leurs métiers. Tout aussi émouvant…

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Date de création : 22/10/2015 13:51
Catégorie : Social - L'immigration
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Réactions à cet article

Réaction n°1 

par lehut le 24/04/2017 11:53
j'ai assisté à cette conférence, j'en ai retenu plusieurs commentaires au sujet
de leur vie en France et en particulier de leurs revendications syndicales.
Ayant travaillé plusieurs années avec eux dans différentes fosses, j'ai pu
apprécié leur courage, j'en ai gardé des bons souvenirs.
Lorsque j'en rencontre, j'ai plaisir a parler de notre travail et aussi de leur pays,que j'ai connu un peu lors de la fin de mon service militaire, en 1956 du côté de Meknés ou Ifrane, eux viennent souvent du sud.