LE CACHE À LOQUES
"Le cache à loques", on l’appelait ainsi… Il passait avec sa carriole tirée par un cheval dans toutes les rues du coron en agitant une cloche et en criant "Peaux de lapin, peaux !", ce qui avait comme premier effet de faire aboyer furieusement tous les chiens du quartier. Comme il n’était pas le seul à passer dans la cité - il y avait aussi le laitier, le boulanger, le brasseur, le charbonnier, l’aiguiseur de couteaux, entre autres -, je me demandais comment papa, qui était toujours de nuit à la fosse, pouvait dormir pendant la matinée.
Il est tellement fatigué qu’il n’entend rien, disait maman.
Le cache à loques ramassait toutes les bricoles qui traînaient dans les buanderies et les jardins : vieux habits, vélos rouillés, lessiveuses trouées, objets métalliques de toutes sortes mais aussi les peaux des lapins qui étaient passés à la casserole. ̎On en fera des fourrures pour les manteaux des dames de la haute société ! .̎ . C’est ce qu’on nous disait ! C’était un monsieur très gentil mais toujours très sale. A la fin de sa tournée, il entreposait son butin dans la cour intérieure de sa maison située dans une ruelle en cul de sac à côté du terril. Un grand dépotoir en fait !
Nous l’aimions bien le cache à loques ! Contre quelques objets de récupération, il nous donnait des grosses pièces de cinq centimes en aluminium. Nous aimions aussi son cheval à qui on offrait des carottes fraîches cueillies dans les jardins à l’insu de nos parents, des carottes lavées sous l’eau de la pompe implantée au milieu de chaque portion de rue. Une vraie mare à canards après notre passage !
Les vieux de la cité ramassaient soigneusement avec une petite pelle métallique et un tison le crottin fumant de l’animal qui s’ajoutait au tas de fumier dans le fond du jardin, c’était un excellent engrais pour le potager !
J’entends encore aujourd’hui dire de quelqu’un qui est mal habillé ou très sale "Mais quel cache à loques, celui-là !". C’est devenu une insulte ! Pour moi, c’est un moment de mon enfance qui revient à la mémoire. C’était avant que les maisons soient équipées pour l’eau courante !
Aujourd’hui, les caches à loques ont disparu, on se débarrasse de nos bricoles le jour des encombrants ou on les amène à la déchetterie. Ce n’est peut-être pas plus mal ! Mais il manque aux enfants le bruit métallique de quelques pièces de monnaie qui traînent dans le fond d’une poche, la tendre caresse sur le museau d’un cheval fatigué et le sourire d’un monsieur très sale dont nous n’avions pas peur !
Georges TYRAKOWSKI
Papa Constant et Mandèle
Du cache à loques au ….
Quand Papa Constant, mon grand-père maternel a cessé de travailler à la mine pour des raisons de santé, il est devenu "cache à loques". Papa Constant avait une charrette et un poney appelé Bibi. Mais il ne gagnait pas lourd ! Alors, il s'est arrangé avec ses frères de Boulogne-sur-Mer -où ma mère a vécu le temps de la grève de 1948- pour acheter du poisson frais et le revendre dans la cité.
Ma grand-mère Adèle, dite Mandèle, en riant nous expliquait qu’il était passé du "cache-à- loques" au cachalot!
Laurence Vincent
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