Je suis né dans le coron Sainte-Marie à Pecquencourt le 11 décembre 1948, le dernier enfant de la famille Mongaudon. Mon père était bowetteur à la fosse Lemay à 15 min à pieds du coron. Il avait pris l’habitude de se laver tous les jours à la maison bien qu’il y aie des douches à la mine. Je me souviens d’une des dernières fois où il a posé sa musette définitivement, j’avais six ans, je jouais dans un coin de la cuisine. Pour lui, ce fut une succession de passages à l’hôpital de Lille pour cette maladie que l’on appelait la silicose, à l’époque. Ma jeunesse dans le coron fut, je peux dire, heureuse et insouciante. Le lundi, jour de lessive, j’allais avec mon petit sceau de 5 litres chercher de l’eau la pompe au bout du jardin pour remplir la batteuse à bras que maman avait achetée. L’école à sept ans, pas de maternelle, puis les jeux au bout de la voyette du jardin nous rendaient indifférent de ce qui se passait autour de nous. Parfois mon père me disait « va voir au bout de la voyette pour me dire si les molettes ne sont pas tournées en brun ». Il en voulait à la mine car au fond c’était un fou au travail mais il le paiera comme beaucoup d’autres par la santé. Pour cette raison, il disait toujours « min tiot y sra jamais mineur ».
J’obtins à 13 ans et demi le quatrième prix cantonal. J'intégrai le collège à Douai pour apprendre le métier d'ajusteur-tourneur. Mon cartable je le gagnais en allant aux betteraves et autres travaux des champs tout jeune. Je voulais faire mécanicien mais il me manquait - ce fut l’erreur transmise par le proviseur, 1/10ème de points pour en faire partie. Aussi je ne foutais rien, durant les trois ans, ou presque rien. Seuls quelques matières m’intéressaient : la chimie, le dessin industriel, les maths et l’histoire de France. Fin juin, tous les cours terminés dans une classe d’étude, un copain sortit une cigarette, une Royale, il l’alluma. Je ne fumais pas du tout mais lui demandai une goulée. Juste à ce moment, un pion entra dans la classe. Il me dit « Mongaudon, vous fumez !», je répondis, « non », mais de la fumée sortait de ma bouche . Situation cocasse ! Présenté illico au proviseur général, je reçu de sa part deux gifles magistrales. Je n’ai pas dénoncé mon copain. Au vue de mes résultats scolaires je n'ai pas été invité à redoubler ma troisième année. Pour moi ce n’étais pas grave mais je n’aimais pas ce que l’on me force à apprendre le métier à l'issue duquel j'étais destiné. Ce fut un tournant dans mon destin. Je travaillais dans les champs jusqu’en septembre puis plus rien. Je ne pouvais pas laisser mes parents dans la mouise. Ma mère faisait des ménages, cardait des matelas pour nous faire vivre. Malgré l’interdiction de mon père, du moins sa réticence à me voir travailler à la fosse, je suis allé voir mon parrain à Montigny en Ostrevent. Il était secrétaire du directeur de la fosse Barrois.
Au N° 17, la maison basse où je suis né, rue Chamonix.
Il co-signa avec moi un contrat pour travailler à Lemay sur la même commune de Pecquencourt. Je surveillais tous les jours le facteur. Le courrier arriva enfin. Je devais me présenter à l’école de la mine au château de Montigny en Ostrevent le lundi suivant. Le plus dur était de l’annoncer à mon père, ma mère était au courant, bien sûr. Il me poursuivit sur la route avec la barre en bois qui servait de coupe-vent au bas de la porte d’entrée. Je courrais vite.
Centre de formation de Montigny en Ostrevent
En septembre/octobre 1965, je commençai ainsi ma carrière de jeune Mineur. Le courrier conseillait de prendre une gamelle que l’on pouvait réchauffer dans la cuisine du château. Une bonne soupe, gratuite, nous était servie en plus du pain le midi. En général le matin c’était cours théorique en salle et l’après-midi de la pratique à la mine image située derrière le carreau de la fosse Barrois. C’est là d’ailleurs que nous allions nous approvisionner en bois. De loin, je préférais cette activité car manuelle. Je me sentais bien ; la hache coupait mal, mais bon !, on ne connaissait pas encore le maniement. Je me souviens très bien, impatient, de ma première descente. Elle se fit à la Fosse Bonnel de Lallaing. Je fus profondément marqué par le refus d’un de mes compagnons à descendre. Je n’ai pas eu d’appréhension particulièrement lorsque la cage comme pour un bizutage descendait à 13 mètres/seconde. En fait cette vitesse était réservée aux matériels ; pour le personnel la vitesse normale était de 8 mètres/seconde. A part une taille à bois et piqueur je ne me souviens plus de la visite, certainement du fait qu’un mineur m’avait laissé un moment la main sur la détente de son piqueur. Nous avons retrouvé le copain dans le bus qui nous ramena au château. Personne ne s’est moqué de lui car il faut dire que nous avions tous plus ou moins l’appréhension de cette première descente.
Ainsi nous faisions quinze jours d’école et quinze jours de stage au fond. J’aurais comme tous les autres je présume occupé tous les postes en tant que stagiaire au fond. Le criblage, là où travaillaient les cafus au jour, n’existait plus. Tout le charbon remontait par Barrois, une bowette reliant les deux fosses. La fosse était appelée la fosse de l’an 2000. Ma première mission, le rabasnage avec un ancien, consistait à nettoyer le sol de la galerie, surtout sous les rails. Il fallait creuser avec le pic une dizaine de centimètres en-dessous, mettre les terres dans une berline et ranger le matériel dans la voie. Un travail peu plaisant. J’aimais beaucoup, par contre, je devais rentrer dans l’écurie à l’accrochage de l’étage 286. Il y restait l’odeur des chevaux.
Fosse Lemay à Pecquencourt
Le dernier équidé, que je n’ai pas eu la chance de rencontrer, fut remonté quelques mois avant ma descente. Puis de fil en aiguille, je fus aide-géomètre, boulot que je n’aimais pas du tout, puis déclapeur dans les montages. Mais ce que je préférais avant tout, c’était rouleur. Je me sentais dans mon élément car responsable de l’évacuation du charbon d’une taille dépilage-buqué ou autre et d’un montage. Il fallait jongler avec les berlines lorsqu’elles arrivaient vides, les disséminer le long de la voie et satisfaire tous les mineurs au rendement. Deux treuils, actionnés par un câble qui courait le long de la galerie, amenait les berlines devant les trappes. Une poussière pas possible lors du chargement à la trappe se dégageait ; l’arrosette n’en venait pas à bout et le masque anti-poussières en caoutchouc me donnait de l’allergie avec ma sueur. Aussi, je le mettais rarement seulement lorsque j’apercevais une lampe approcher à l’heure de la visite du porion. L’arrosette, c’était bien, mais souvent le charbon se bloquait dans la trappe. Lorsqu’il y avait un copain déclapeur, ce problème se réglait, mais galère, lorsqu’il fallait monter dans les couloirs pour pousser dans la trappe le charbon collé par l’eau. Aussi bien souvent, elle restait en position « fermé ». Souvenir marquant : deux ans après avoir quitté la mine, à l’armée, lors d’un cross je crachais encore du noir.
Le briquet était composé, en hiver, de tartines bananes, l’été, souvent, des fraises du jardin avec l’immuable orange prédécoupée par mon père. C’était lui que me préparait tous mes casse-croûtes. Parfois au fond, pendant briquet, je demandais l’autorisation à un mineur de me servir de son marteau piqueur, il en rigole encore. Je faisais les deux postes, matin et après-midi, en alternance. J'ai passé le CAP-Mineur avec succès. Tout le monde a été reçu.
Puis vint le jour de mes 18 ans. En quelques heures, je devenais un homme, un vrai mineur. Avec un billet de prise en compte de matériel, je vais charger : piqueur, nourrice, pic et hache. Direction la taille école où nous mettions en application, enfin, ce que l’on avait appris à la mine-image. Le charbon ne voulait pas se laisser faire et réussir à terminer sa rallonge dans le poste, restait un exploit. Mais j’aimais bien. J'ai travaillé en dépilage piqueur et explosifs dans une veine de plus de deux mètres de puissance puis j'ai terminé boiseur dans la nouvelle taille rabot de la fosse. Adieux le bois de sapin coupé à la hache, remplacé par des bos d’fer (étançon).
Au détroussage en bas de la taille rabot.
Nous avions chacun un parcours de dix bacs soit une quinzaine de mètres. Notre mission : suivre le déplacement du rabot en boisant devant et déboisant derrière et aussi mettre en place les pousseurs du convoyeur blindé. C’est dans cette taille que j’eus la peur de ma vie. Le foudroyage ne venait pas, il restait un étançon à foudroyer sur toute la ligne. Bien sûr il m’incombait de le faire tomber. J’attache la chaîne, déclavette, rien ne tombe. Juste un coup de charge se fait entendre. Je rallonge la chaîne puis je remplace ma petite massette par mon pic et frappe le fût de l’engin. Juste à ce moment, je suis projeté contre les convoyeurs. Etourdi ! La roche est venue d’un seul coup, un seul. Le porion vient me rejoindre tout affolé. Je n’ai rien. Mon père m'a prévenu « si un jour au fond tu as peur, va pisser de suite, sinon tu vas attraper des boutons ». Ce que je fis. Nos lampes ne pouvaient voir la hauteur du rocher tombé, j’associais cela à une cathédrale, bizarrement.
Une autre fois, un relais prend malin plaisir à apparaître en bas de la taille où je travaillais. La ridelle du blindé touchait le toit, soit environ cinquante centimètres. Je boise des étançons « E » les plus petits. Souvent à plat ventre et sur le dos il ne faut pas être claustrophobe ! Un des pousseurs, actionnés par pression d’eau au-dessus de mon parcours, fuyait. L’eau me passait par le col et descendait jusque dans les bottes. Je demande plusieurs fois que ce soit réparé au chef de taille, sans résultat. Au bout de plusieurs jours je prend un billet de malade. Lorsque je reviens, une semaine plus tard, le relais avait disparu et personne n’a critiqué mon absence.
En bonne période de rendement nous manipulions chacun plus de soixante-dix étançons par poste sans compter les plumes qui pesaient une quinzaine de kilos. Avec les trois postes, bien sûr, je gagnais bien ma vie et je remettais toute mes quinzaines à ma mère. Je pris aussi le poste de détrousseur en bas de la taille et je retrouvais ainsi un vieux compagnon, le piqueur. Ce fut mon poste préféré dans cette taille. Le directeur m’annonça, lors d’une visite, « monsieur Mongaudon, vous allez partir à l’armée tantôt, et lorsque vous reviendrez je vous inscrit à l’école des agents de maîtrise ». Il connaissait tous les mineurs par leur nom ! J’étais fier comme tout de cette nouvelle. Mais mon destin en décidera autrement.
Je me souviens d’une anecdote marquante. Lorsque parti pour les trois jours de préparation militaire à Cambrai où nous passions d’abord une visite médicale, - Il faisait beau dehors et la fenêtre de la salle de radio reflétait l’opérateur -, je me mets en place contre la machine et bloque ma respiration. Mon regard est attiré vers les vitres je vois ainsi la tête effarée du toubib qui scrutait mes poumons. Le suivant prend ma place, un sportif de mon âge, et là le docteur déclame « ben voilà des poumons sains ! » Cette phrase restera gravée dans ma mémoire.
Le jour de la réception de ma feuille de route pour le 12ème régiment de Chasseurs à Sedan, je me rends au bureau administratif de la fosse Lemay pour clore mon compte pour les dix-huit mois du service militaire obligatoire.
Le service militaire, un grand moment d’une vie, dommage qu’il soit supprimé.
L’armée m’ouvre les bras pour dix-huit mois. Je dois en rempiler six car le colonel Cdt le régiment ne veut pas me laisser partir en Gendarmerie. Plusieurs de mes demandes seront jetées à la poubelle. Six mois de stage à l’école de Gendarmerie de Chaumont où je sortirai septième sur cent dix huit, quatorze ans de Gie Mobile en région Parisienne, voilà la suite. Je ne mettrai qu’un seul PV en police de la route ! En fin de carrière, je serai quatorze ans comme photographe perso du directeur de la grande maison. j'ai commandé alors neuf gendarmes.
Mes ouvrages « A la lueur de nos lampes » en auto édition.
Cependant mes racines sont prises dans le charbon. Je ne peux oublier la mine ! Alors, en 1988, je décide d’écrire « un » livre en hommage aux Mineurs de charbon du Nord de la France « A la lueur de nos lampes ». Ce fut une sacrée aventure car je ne connaissais rien à l’édition, de plus nul ou presque en dictée et rédaction. La foi, la volonté font des miracles, la preuve la réussite générée par mes ouvrages. Mais ceci est une autre histoire.
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